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james connoly

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Le risque du rétablissement d’une frontière physique et plus formelle entre l’Irlande du Nord et le reste de l’ile  avec le Brexit suscite de nombreux articles et commentaires sur la perspective du retour de la violence armée comme seule alternative.

Si cette violence armée de résistance n’a jamais vraiment disparue, elle n’est que la forme la plus spectaculaire de la volonté du peuple Irlandais de réunifier son pays.

La tradition militante et politique locale est très marquée par le militarisme, et les commémorations en tous genres sont l’exercice obligé de tout l’arc républicain, qu’on ne saurait résumer au seul Sinn Fein.

Les autres activités politiques et campagnes retiennent peu l’attention des médias du continent, y compris les médias militants.

Ainsi la manifestation qui a eu lieu dans ce dimanche 24 novembre entre Lifford et Strabane, regroupant plus de 2000 personnes qui ont symboliquement passé outre cette frontière étrangère existant entre les deux lieux n’a pas eu beaucoup d’écho ici.

C’est le premier aboutissement de la campagne “Yes For Unity” lancée par nos camarades du Parti Républicain Socialiste Irlandais / Irish Republican Socialist Party (IRSP). En décembre 2018 à Belfast, sur Falls Road au cours d’un meeting auquel assistaient des militants de la Gauche Indépendantiste Bretonne des catalans et des Écossais, les militants de l’IRSP avait fait part de leur volonté de mettre sur pied une campagne populaire, multiforme, à la base, ouverte à tous et à toutes pour visibiliser le désir du peuple Irlandais de pouvoir choisir son destin en exerçant son droit à l’autodétermination via un référendum.

Une partie des mouvements républicains plus liés à des groupes armées toujours en activité jugent inutile cette revendication car, pour eux, le rapport de force militaire contribuera à chasser l’occupant britannique et ils tirent leur légitimité dans l’histoire de la résistance à l’occupation, de l’autre coté, le Sinn Fein (parti républicain issu de l’Ex IRA provisoire), privilégie la participation aux institutions et au jeu électoral traditionnel et intégré.

Enfin, même entre ceux qui sont favorables à la tenue d’une consultation tous ne s’accordent pas sur le cadre dans lequel un référendum devra se tenir. Dans la cadre de ce qui est mentionné par les accords du vendredi saint qui prévoient une consultation frontalière bien nébuleuse ? A l’initiative de la seule “République d’Irlande” ? De façon auto-organisée ?

Ar Gwenn-ha-Du e penn ar vanif !

La mobilisation de ce dimanche à Strabane, peu éloignée de Derry fief républicain, a sans doute contribué à donner du crédit à la tactique de l’IRSP car c’est une manifestation familiale, populaire, jeune et unitaire qui a pu se tenir, sans aucun incident.

De nombreux militants de divers sensibilités et des élus du Sinn Fein et de son organisation de jeunesse étaient présents, mais aussi des conseillers républicains indépendants qualifiés facilement de “dissidents” par la presse, des syndicalistes, des féministes également, tous comme des drapeaux écossais, catalans, galiciens et bretons pour marquer le fait que cette revendication d’une Irlande réunifiée s’inscrit dans un mouvement global en Europe en faveur de la démocratie, et doit être portée par ceux et celles ayant un intérêt à donner un contenu social à la réunification.

Tweet de l’organisation de jeunesse de Sinn Fein

Comme pour donner de l’écho à cette mobilisation réussie de la plateforme “Yes For Unity”, un sondage indique ce 24 novembre que 51 % des Irlandais du sud souhaitent la tenue d’un référendum sur l’unité de l’Irlande. Un sondage qui indique également que dans la tranche 18-24 ans ce sont 70 % des sondés qui valident cette option.

C’est donc un excellent début de campagne pour remettre la souveraineté populaire et le progrès social au cœur du débat de la réunification de l’Irlande qui a eu lieu ce dimanche 25 novembre. Même si bien sur le débat sur le cadre dans lequel ce référendum devra avoir lieu risque d’alimenter les échanges entre les différentes tendances du républicanisme.

Tweet de l’orga de jeunesse de l’IRSP.

Des Catalan.e.s et ds Galicien.ne.s à Strabane

A l’occasion de la venue de Liam Ó Ruairc en Bretagne venu pour y présenter son livre « Paix ou Pacification ? L’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA » paru aux éditions STOURMOMP, les militants du NPA Finistère ont réalisé cette entrevue avec l’auteur. Nous la republions donc.

Question : Quelles sont les principales thèses défendues par cet ouvrage ?

L’État britannique sort vainqueur du conflit qui l’a opposé à l’IRA durant des années.

Les républicains irlandais acceptent à présent les termes politiques pour la résolution du conflit proposés par leur adversaire depuis 1972.

La souveraineté de l’État britannique (sur les 6 comtés) a été renforcée par les Accords de 1998.

Ces Accords loin d’être un compromis honorable représentent un changement constitutionnel déséquilibré en faveur de l’unionisme. Pour reprendre les mots de Tony Blair, Premier Ministre britannique : « Ces Accords offrent aux unionistes toutes les exigences-clés qu’ils ont formulées depuis la partition il y a 80 ans. »

Si on traduisait la chose en langage syndical, on devrait dire que la direction républicaine a réussi à obtenir une semaine de six jours et une baisse des salaires. Le Sinn Féin déguise son échec stratégique comme une ‘nouvelle phase de la lutte’. C’est un peu comme ce général qui aurait un jour déclaré ‘nous ne reculons pas, nous manœuvrons’.

Mais comme l’a souligné Bernadette Devlin-McAliskey, d’un point de vue républicain le proces- sus de paix ne pouvait être qu’« idéologiquement mauvais et tactiquement stupide » ; vu que son objectif principal était « la dé-militarisation, la dé-radicalisation et la dé-mobilisation du mouvement de résistance » et cela s’est avéré vrai. Non seulement cela représente une défaite pour le républicanisme, mais le Sinn Féin rejoint le système auquel il était opposé.

Ce à quoi le processus a aboutit est au mieux une espèce de version irlandaise du pacte Hitler-Staline plutôt qu’un modèle pour la paix mondiale.

L’ouvrage montre aussi que le ‘processus de paix’ en Irlande du Nord n’est pas seulement politique, mais comprend également un volet économique basé sur l’idée que le néo-libéralisme favorise la paix et la prospérité. Dans ce village Potemkine de la paix néo-libérale qu’est l’Irlande du Nord, l’ouvrage prouve que ceux qui ont été le plus affectés par le conflit ne sont pas ceux qui bénéficient des supposés ‘dividendes de la paix’ et dans beaucoup de cas leur situation sociale et économique s’est détériorée depuis 1998.

Ce qui existe aujourd’hui en Irlande du Nord est un simulacre de paix et pas une paix véritable, car ce n’est pas une paix fondée sur la vérité (l’idée de vérité est vue comme néfaste), la liberté (vu que la domination de l’État britannique a été renforcée) et l’égalité (étant donné que les inégalités sociales et économiques se sont approfondies). C’est pour cela qu’il est préférable de parler de ‘processus de pacification’ au lieu de ‘processus de paix’. Le ‘processus de paix’ ne peut pas même être qualifié de ‘révolution passive’.

Il faut aussi souligner que cet ouvrage critique non la ‘paix’ mais le ‘processus’. Que l’IRA mette fin à ses actions armées est une chose qui peut se comprendre mais le Sinn Féin rejoindre le camp adverse une autre !

liamorourke

L’ouvrage donne une grande importance au contexte historico-mondial. Pourquoi ?

Il est erroné de voir l’Irlande du Nord comme un problème ‘insulaire’. Il faut voir cette question dans le cadre global de l’impérialisme et des luttes de libération. La résistance irlandaise a été très fortement associée à la montée des mouvements anti-impérialistes et anti-coloniaux. Le ‘processus de paix’ est un symptome de la crise et du déclin de ces mouvements à l’échelle internationale.

Le changement des rapports de force à l’échelle internationale après la chute de ce qu’on appelait le ‘socialisme réellement existant’ a mis les mouvements de libération nationale ‘réellement existants’ et autres forces anti-systémiques dans une position de faiblesse et les force à accepter des termes défavorables. C’est dans ce contexte qu’il faut voir le processus de pacification et ce qui l’a rendu possible. Le ‘processus de paix’ est la version irlandaise de la thèse proclamée par l’idéologue de la Maison Blanche Francis Fukuyama de la ‘fin de l’histoire’.

Comment expliquer que le gros des sympathisants du Sinn Féin et de l’IRA Provisional soient restés loyaux au mouvement et sa direction alors que ceux-ci ont abandonné les principes républicains ?

Le fait d’être loyal au mouvement plutôt qu’à l’idéologie est le facteur décisif. Le vétéran républicain Brendan Hughes rappelait que le mouvement a toujours exploité la loyauté de ses membres. Cela indique la primauté de l’unité organisationnelle sur l’unité autour de principes idéologiques. C’est la version irlandaise de la maxime social-démocrate ‘le mouvement est tout, les principes ne sont rien’.

Un autre point important est que la direction du Sinn Féin et de l’IRA est arrivée à vendre à leur base la dilution de leurs principes en déclarant que ce n’étaient pas des ‘principes’ mais des ‘tactiques’. La confusion délibérée des principes et des tactiques débouche sur une situation ou il n’y a plus aucun principe et tout est juste une ‘tactique’.

En termes de comparaison internationale, le journaliste et politologue Kevin Rafter ne trouve pas d’autre exemple de mouvements politiques qui ont été aussi loin que le Sinn Féin et l’IRA dans la dilution de leurs principes fondamentaux : « Aucun autre parti politique en Europe n’a subi une telle révision radicale de ses principes de base, pas même les anciens partis communistes en Europe centrale et orientale qui se sont transformés en entités sociales démocrates au lendemain de la chute du bloc soviétique » écrit-il dans son livre de 2005 sur le Sinn Féin.

Sur cette base il est possible de déguiser l’opportunisme en ‘pragmatisme’ et ‘réalisme’.

En termes de couverture médiatique ce sont les organisations républicaines voulant poursuivre la lutte armée qui reçoivent le plus d’attention. Que penser de celles-ci ?

Pour utiliser les termes de Gramsci, ces organisations veulent engager une « guerre de mouve- ment » alors que non seulement on n’est pas même capable de se lancer dans une « guerre de position » mais l’heure est à battre en retraite stratégique !

Le dirigeant républicain Brendan Hughes soulignait qu’en Irlande du Nord non seulement les gens en ont marre de la guerre, mais ils en ont marre de la politique tout court. Il n’y a aucun appétit pour la guerre et très peu d’intérêt pour la politique. On vit dans une époque thermidorienne où on assiste à l’atomisation, la dépolitisation, la dé-mobilisation et la dé-radicalisation des acteurs sociaux et politiques. Le capitalisme malheureusement semble l’ horizon indépassable de notre temps.

Ces organisations mènent des actions armées mais n’ont même pas commencé à se lancer dans la bataille des idées. La bataille la plus importante à mener aujourd’hui est la bataille des idées. L’impératif est de forger une « direction intellectuelle et morale » (pour encore emprunter un concept gramscien) et non des actions armées qui ont des effets politiques très réduits.

Cet ouvrage éspère contribuer à cette bataille des idées et offrir un contrepoids à la ‘propa- gande de la paix’ qui domine aujourd’hui le discours sur l’Irlande du Nord. Pour conclure en termes de perspectives: « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté »…

Le 27ème festival du livre de Carhaix (29 et 30 octobre) est consacré à l’Irlande. Ce rendez-vous incontournable de l’édition et du livre en Bretagne n’hésite pas à choisir des thèmes à la frontière du culturel et du politique. En consacrant son édition de 2016 à L’Irlande, 100 ans après l’insurrection de 1916 le festival ne déroge pas à cette tradition.

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Le programme et la liste des auteurs et éditeurs présents (de langue bretonne ou de langue française) est consultable ici et . Un certain nombre d’auteurs Irlandais et d’officiels de la république d’Irlande seront présents.

Par ailleurs un colloque aura lieu le vendredi 28 et le samedi 29 octobre coorganisé par le C.R.B.C. de l’Université de Rennes 2 et en partenariat avec l’association Breizh-Eire sur l’histoire des relations britto-irlandaises.

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Nous attirons votre attention sur la présence à ce festival incontournable de Liam Ó Ruairc, écrivain républicain et socialiste Irlandais de Belfast qui vient de publier : « Paix ou Pacification ? L’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA » aux éditions “Stourmomp”.

Un ouvrage qu’il présente comme ceci :

“Depuis des années, les pouvoirs dominants et leurs médias vantent les mérites du «processus de paix» nord irlandais. La présente étude cherche à montrer que ce processus n’arrive pas à lier «paix» et «justice» et que pour cela il est plus exact de parler de «processus de pacification».
Contre les discours dominants réduisant ce qu’on appelle la «
question irlandaise» à un problème insulaire et à des haines ancestrales, cette étude la place dans le contexte du colonialisme, de l’impérialisme et des luttes de libération.”

Il viendra pour présenter son livre le vendredi 28 octobre à Guingamp au Centre Culturel Breton à 18H30 (vente et signature sur place). Ce sera un moment privilégié pour discuter avec ce partisan de l’Irlande réunifiée et néanmoins universitaire stimulant, qui jette un regard critique sur la pacification.

Pendant le festival du livre de Carhaix vous pourrez le rencontrer le samedi de 14h00 à 16h00 et le dimanche de 10h00 à 12h00 sur le stand des éditions Coop Breizh qui distribue l’ouvrage.

Le livre est disponible en pré-vente pour 14 €, frais de port inclus pour l’hexagone sur le blog de Stourmomp qui est un collectif militant pour l’édition et la diffusion de matériel (en français ou en breton) de réflexion au service de la construction d’une république bretonne, libre, réunifiée, brittophone, socialiste et féministe dans une perspective internationaliste.