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Liam Ó Ruairc

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Le Non à l’indépendance de la “Nouvelle-Calédonie” l’a donc emporté avec 56,7% des voix (78.734 votes) contre 43,3% (60.199 votes) pour le Oui. Notre camarade Gael Roblin réagit à titre personnel au résultat.

Ainsi donc il y aurait eu un référendum d’autodétermination en Kanaky il y a quelques jours. C’est ce que l’on peut entendre dire ou lire ici et là, surtout en métropole j’imagine. Pendant deux mois, pas un mot sur le scrutin dans les grands médias français et depuis quelques jours de nombreux éditorialistes ont fait campagne pour le “Non” à l’indépendance qui avait toutes les chances de l’emporter.

En Bretagne, nous avons eu droit au matraquage de nos quotidiens qui ont apporté leur soutien à la France impériale. Ouest-France a ainsi donné la parole en une au point de vue du député LR de la Manche Philippe Gosselin, membre de la mission sur la Nouvelle-Calédonie célébrant le “génie institutionnel” (sic) de la France et faisant comprendre que cette dernière comptait bien garder son contrôle sur cette partie de ses colonies quoi qu’il advienne. Il y appelait à des relations néo-coloniales si l’indépendance était votée le 04 novembre malgré une majorité écrasante de colons. Rappelons que Ouest-France est le premier quotidien régional en terme de lectorat.

La très partiale Christine Clerc plumitive dans la presse réactionnaire (Figaro etc…) a eu droit à une tribune ultra colonialiste puant l’Algérie Française dans le Télégramme, dans lequel elle se réjouissait de la progression de la politique d’assimilation en Kanaky, vantant le bonheur d’être français pour progresser socialement et prédisant des violences urbaines imputables à de jeunes Kanaks en cas de victoire du “Non”.

La suffisance impérialiste, la franchise du très sale soutien de Christine Clerc et Philippe Gosselin qui défendent les intérêts de leur classe de parasites, à l’apartheid et au colonialisme français n’a rien d’étonnant. Mais la dépolitisation ambiante a aussi amené des forces “autonomistes” ou “régionalistes” à voir dans le scrutin du 04 novembre un référendum d’autodétermination, en témoigne cet étrange communiqué de la Fédération Régions et Peuples Solidaires qui fédère les forces bretonnes, basques, corses, occitanes et alsaciennes se réclamant de l’autonomisme et du régionalisme… Ce communiqué signé Roccu GAROBY affirme “il appartient désormais aux  Néocalédoniens eux-mêmes et à personne d’autre, de choisir entre deux projets de société” et est intitulé “Référendum en Nouvelle-Calédonie, un vote d’autodétermination enfin !”. Par trois fois c’est le terme “Néo-Caledonien” qui est utilisé — et il n’est pas neutre — et son utilisation prouve bien qu’il ne s’agissait pas d’un référendum d’autodétermination le 04 novembre, mais plutôt d’un référendum de “co-détermination”.

Car la question posée était : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». “Nouvelle-Calédonie” et pas “Kanaky” et c’est là que le bât blesse.

Raphael Constant, militant anticolonialiste Martiniquais et avocat, a signé une brillante tribune sur le portail  “Montray Kreol” intitulé : “la supercherie de la consultation du 04 novembre” où il affirme “l’accord en lui-même reconnait le droit aux colons de s’exprimer sur l’avenir de la colonie, ce qui est exactement le contraire du droit à l’autodétermination. En fait, les Caldoches, installés par la violence, voient leur présence et domination entérinées par ceux qu’ils ont exploités et pillés pendant plus d’un siècle.”

La souveraineté de la Nouvelle-Calédonie n’est pas le droit à l’indépendance de Kanaky !

Bien sûr, beaucoup de forces historiques de l’indépendantisme Kanak membre du FLNKS ont appellé à voté “OUI” au scrutin et visiblement ils ont été entendus par de très nombreux jeunes, la victoire du NON étant moins écrasante que prévue. De ce point de vue le score du “OUI” témoigne d’une persistance remarquable de la conscience nationale Kanak malgré la violence de la terreur coloniale qui règne sur Kanaky depuis 1860. Mais les indépendantistes de l’USTKE (Union Syndicale des Travailleurs Kanaks et Exploités) et du Parti Travailliste de Kanaky qui avaient appelé à la non participation n’ont pas moins fait preuve d’une telle conscience particulièrement aiguisée.

Mina Kherfi, représentante du PT en métropole de passage à Nantes (en Bretagne) à l’université de la Gauche Indépendantiste Bretonne fin septembre, affirmait que c’est parce que c’est la puissance coloniale française qui délimite le corps électoral, et qui détermine la question posée en imposant le concept de Calédonie à celui de Kanaky que le PT et l’USTKE appelait à la non participation.

La question de la non-inscription d’office de milliers de Kanaks sur les listes électorales — donc privés de droit au scrutin — a aussi été un argument pour la non participation.

Rock Haocas, membre du Parti travailliste et secrétaire confédéral en charge de la communication et des relations extérieures de l’USTKE ne disait pas autre chose sur le site du NPA quelques semaines après, en insistant sur les conditions de vie désastreuses des Kanaks du point de vue social et le caractère “insincère” des listes d’inscrits.

Et, visiblement, là où ces forces sont implantées comme à Ouvéa, le taux de participation s’en est ressenti.

Si le peuple Kanak est devenu minoritaire sur son territoire c’est dû au colonialisme. Dans les zones, les communes où il est majoritaire le “OUI” à l’indépendance est majoritaire.

C’est tellement évident que Phillipe Gomes, leader d’un parti anti-indépendance Calédonie Ensemble, déclare que l’hypothèse d’un vote favorable à l’indépendance est « strictement impossible. Tous les scrutins ces 20 dernières années donnent les listes non-indépendantistes majoritaires avec près de 60 % des voix et les listes indépendantistes avec 40 % des voix. Sur les 169 000 électeurs, on a 92 000 électeurs non-kanak et 77 000 électeurs kanak. Le rapport de force est défavorable à ceux qui portent la revendication de l’indépendance

L’indépendantiste Martiniquais Raphael Constant résume les faits ainsi : “Le seul exercice du droit des peuples consisterait à ne consulter que le peuple dominé qui a été spolié, le peuple kanak“, pas les colons composante du “peuple calédonien”.

Certains leaders indépendantistes Catalans dénonçant avec raison la violence espagnole contre la tenue de leur référendum auto-organisé de 2017 ont même parait-il loué les conditions dans lesquelles se déroulaient la consultation en Kanaky. Mais sans doute ne savent-ils pas que ce vote s’est déroulé suite aux accords de Nouméa de 1988, mis en place comme le rappelle toujours Raphael Constant : “suite au massacre de Hienghène en 1984 où 10 Kanaks (dont deux frères du Président Tjibaou) sont tués par des Caldoches. Les assassins seront acquittés par la justice française. Souvenons-nous de l’assassinat d’Eloi Machoro, le chef militaire de la branche militaire du FNLKS, par le GIGN en janvier 1985. Assassinat resté impuni. Souvenons-nous du massacre de la grotte d’Ouvéa où les militaires français ont achevé 19 Kanaks en toute impunité. “

Ce vote est le résultant d’un compromis de co-détermination entre une partie des nationalistes Kanaks, défaits militairement et acceptant à partir de 1988 par les accords de Nouméa de participer à la gestion d’une des trois provinces, et le congrès qui compose ce que le pouvoir français présente comme la Nouvelle-Calédonie. Même wikipédia nous l’explique avec beaucoup de clarté, parler de Peuple Caledonien c’est parler  de “La citoyenneté néocalédonienne ou citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie  qui est une qualité juridique particulière au sein de la Nationalité Française“. On est bien loin du concept de droit à l’autodétermination.

Il n’est pas inexact de parler de codétermination car les accords de Matignon en 1988 — qui ont aboutit au référendum de 2018 — ont été validés par “le peuple français” par le référendum de novembre 1988 (oui un vote en métropole sur la Kanaky !). À la question : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République et portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ? », 80 % des suffrages exprimés furent positifs, la participation faible (37 %). Les blancs et nuls ne représentèrent que 12 % des votes.

Il y a donc bien deux agrégats (deux électorats) distincts, aux intérêts antagoniques, l’un dominant, l’autre issu de la colonisation qui ont été consultés.

L’Irlande, un autre cas de co-détermination.

En 2016, avec un autre camarade, j’ai contribué a publier en français un brillant essai politique de Liam O Ruairc intitulé “Paix ou Pacification ? L’irlande du Nord aprés la défaite de l’IRA” et la relecture de cet ouvrage aux lendemains de la “consultation” en Kanaky peut nous éclairer, nous servir à déterminer ce qui relève de l’exercice du droit à l’autodétermination et ce qui n’en relève pas. Il y rappelle tout d’abord que le droit à l’autodétermination est un acte de libération à caractère révolutionnaire, de part ses origines dans le mouvement ouvrier, qu’à ce titre ce concept est lié aux luttes des peuples colonisés pour leur émancipation nationale. Si le droit à l’autodétermination d’un point de vue juridique a été soulevé par la communauté internationale pour le Timor Oriental ou la Palestine, il ne l’a jamais été pour l’Irlande. Car le poids international de la puissance internationale de la monarchie Britannique lui a permis de présenter le conflit nord Irlandais comme un problème essentiellement domestique en l’empêchant de devenir un problème juridique à l’échelle internationale.  C’est très précisément le tour de force que vient de réussir le pouvoir français avec ce concept de citoyenneté calédonienne. Le légitimer, le renforcer en parlant d’autodétermination  néo-calédonienne pour ce vote n’est pas très dé-colonial.

Liam O Ruairc citant Amy Maguire dans la Griffith Law Review en 2013, ajoute “Le droit international reste insuffisamment décolonisé : ce que des études récentes ont souligné au sujet de l’Irlande du Nord ou des aborigènes d’Australie par exemple une lecture “contre hégémonique” de ce que le droit international entend par colonialisme et autodétermination est nécessaire dans ces deux cas, qui montrent qu’au 21e siècle la décolonisation reste un projet inachevé”.

Mina Kherfi, représentante du PT et adhérente USTKE, a expliqué la position de non-participation de ces deux formations pour ce référendum en détaillant des faits sociaux :

  • taux de chômage chez les Kanaks : 26 % contre 7 % chez les non-Kanaks ;
  • 57 % des non-diplômés sont Kanaks : on compte seulement 6 % de diplômés de l’enseignement supérieur chez les Kanaks
  • 85 % des chefs d’entreprise et 75 % des cadres supérieurs sont des métropolitains ; par contre 75 % des ouvriers sont Kanaks.

Une violence sociale forte envoyant des jeunes kanaks en nombre derrière les barreaux (90 % de la population carcérale est d’origine kanak, des faits principalement dus à l’alcool), un taux de suicide inquiétant, l’échec scolaire, le chômage, les jeunes sont écartelés entre les valeurs coutumières et le monde occidental et peinent à trouver leur place dans une société dominée par les Européens et l’argent.

Voila une démonstration simple et chiffrée prouvant bien que la Kanaky est encore et aussi une colonie au 21e siècle.

Mais revenons en à l’Irlande. En 1998, suite aux accords du Vendredi Saint, les Irlandais furent invités en deux fois à voter sur deux questions différentes pour valider ces accords mettant fin à une phase du conflit provoqué par l’occupation de l’Ile (qui perdure). Au nord les électeurs ont voté “Oui” à la question “Approuvez vous l’accord issu des négociations entre les différents partis sur L’Irlande du Nord” et au sud “Approuvez vous la loi de 1998 sur la 19ème modification de la constitution“. Même Gerry Adams, chef du Sinn Fein et artisan de cet accord, s’accorde à dire que ce n’est pas un référendum d’autodétermination. Comment qualifier de tel un processus de vote mené sur la base de la définition des corps électoraux par des oppresseurs et non par les seuls opprimés !

Jonathan Tonge, ex-président de l’association des politologues britanniques, se livre à propos des votes au nord et au sud de l’Irlande à ce constat : “étant donné que la préférence de l’agrégat (de l’électorat Irlandais dans son ensemble) se porte vers l’unité irlandaise il est pour le moins douteux de considérer comme un acte d’autodétermination un référendum qui exclut précisément cette option“.

Pour paraphraser Jonathan Tonge, j’affirme que ce qui fonde l’action nationaliste Kanak c’est le refus du colonialisme français, de l’assimilation et c’est l’affirmation de cette conscience nationale Kanak qui s’est manifesté sous bien des formes, c’est l’affirmation résistante du droit du seul peuple Kanak à la libre disposition de son territoire. Étant donné que la préférence du seul peuple Kanak ayant voté ou n’ayant pas participé au vote du 04 novembre est majoritairement favorable à l’exercice décolonial et contre hégémonique du droit à l’autodétermination et à la libre disposition de son territoire, il est pour le moins douteux de considérer comme un acte d’autodétermination un référendum qui exclut précisément cette option. Le seul sujet politique légitime pour un référendum d’autodétermination c’est le peuple opprimé !

En guise de conclusion provisoire.

Il est difficile d’être un bon allié non paternaliste des Kanaks ou des autres peuples sous domination française hors métropole et de ne pas reproduire de comportement coloniaux de gauche lorsque l’on milite soi même au sein de la métropole impérialiste.

On peut essayer d’être un allié internationaliste en refusant de porter les valises sémantiques de l’impérialisme français, qu’en tant que révolutionnaire de l’hexagone on doit combattre et dénoncer. Cela veut dire qu’il faut expliquer que ce référendum ne correspondait pas à l’exercice du droit à l’autodétermination. C’est aux Kanaks de dire qui doit voter, où et quand on doit voter, et quelle est la question posée.

Nous avons à apprendre des Kanaks et non l’inverse.

Les Bretons, les Basques, les Catalans du Nord, les Corses, les Occitans et tous les autres qui veulent légitimement plus de souveraineté pour leur territoires en métropole (qui ne sont pas des colonies mais des nations sans état) devraient cesser de réfléchir dans le cadre étroit du droit français, de la loi NoTre, du droit d’option et de la réforme territoriale et des autres fariboles régionalistes inventées par ceux qui ont spoliés le peuple Kanak de son droit à décider.

Le droit à l’autodétermination ne se quémande pas il s’exerce.

Vive Kanaky indépendante et socialiste !

Gael Roblin militant communiste révolutionnaire de la Gauche Indépendantiste Bretonne.

 

Depuis 1996, le Festival Euskal Herria Zuzenean existe au pays Basque Nord et tente de lier programmation éclectique et réflexion militante. EHZ est le prolongement de l’association PIZTU créée en 1992 et il peut être défini comme une association militante. L’ambition était de devenir une plateforme d’échange et d’aide à l’évènementiel. Piztu organisa le premier festival EHZ en 1996.

C’est un festival qui au-delà du seul rendez-vous annuel organise des conférences et des concerts sur tous le Pays Basque nord tout au long de l’année. Nous nous permettons d’attirer votre attention sur la présence assumée de Zadistes et expliquée comme suit :

L’an dernier, nous avions accueilli de nouveaux compagnons de route : les zadistes qui habitent les terres bretonnes de Notre-Dame-des-Landes. Ils avaient participé au montage et aux conférences du festival, ainsi qu’à une première tournée de réunions publiques en Pays Basque sud. Dans la lancée, une trentaine de personnes du Pays Basque visitaient la ZAD, afin de mieux connaître ce territoire et prendre part à des chantiers collectifs. Une rencontre fructueuse, propice à l’échange de modèles et de pratiques. Les relations continuent à ce souder. Cette année encore, ils seront présent au château de Garroa. Et en présence de différents mouvements de résistance de collectifs travaillant sur l’écologie, l’agriculture biologique, l’autogestion, la désobéissance ou l’internationalisme, la discussion du dimanche portera sur les façons de promouvoir les cultures populaires et les alternatives plurielles, de réfléchir sur la mise en place d’outils et modes de vie participatifs, et l’enjeu de joindre les résistances diverses ou de mettre en pratique la convergence des luttes.
(RDV dimanche 2 juillet à 11 heures)

Il y aura aussi une grande place accordée aux luttes féministes et à la réflexion anti-masculiniste.

L’équipe éditoriale de Stourmomp sera également de la partie puisque l’auteur républicain et socialiste Irlandais Liam O’ Ruairc sera présent pour animer un débat sur l’importance de l’autodétermination dans le processus de paix  (Samedi 1er juillet à 15h00).

Il évoquera  l’évolution politique des dernières années en Irlande du Nord. Aspirant à son indépendance, le territoire a connu la lutte armée, la répression, “le processus de paix”, et les négociations politiques menées dans son cadre. Quelles ont été ses conséquences ? Quelle est la situation actuelle des prisonniers politiques ? Comment est menée la lutte pour l’émancipation totale du pays aujourd’hui ? L’an dernier, Liam O’Ruairc a publié le livre “Paix ou pacification ? L’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA”. Un ouvrage dans lequel il rapporte et analyse le déroulé du processus de paix irlandais et ses conséquences. Et au delà de ces constats, il questionne sur l’importance de l’autodétermination dans le processus de paix irlandais. Selon lui, Le droit à l’autodétermination est ce qui permet de souder “paix” avec “justice” et d’achever le processus de décolonisation. Si le processus n’est pas fondé sur la reconnaissance du droit à l’autodétermination, on peut remettre en question le caractère “juste” et durable de cette paix.

Pour tout savoir sur ce festival pas comme les autres ou la langue basque et les prisonniers politiques ne seront surement pas absents, on passe par là.

 

Radio Paese, l’émission Corse de FPP à Paris, a diffusé un entretien avec Liam Ó Ruairc à propos de son livre “Paix ou pacification : l’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA” (édition Stourmomp).

L’interview se trouve vers la 18ème minute environ et Liam Ó Ruairc y évoque plusieurs thèmes durant un quart d’heure : Brexit, accords du Vendredi Saint, situation économique et politique en Irlande du Nord, …

Rencontre avec Liam Ó Ruairc, écrivain républicain et socialiste Irlandais, à l’occasion du 27ème festival du livre de Carhaix qui avait lieu les 29 et 30 octobre et qui était consacré à l’Irlande.
Liam Ó Ruairc, originaire de Belfast, venait en effet de publier : « Paix ou Pacification ? L’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA » aux éditions “Stourmomp”.
Un ouvrage qu’il présente comme ceci :

« Depuis des années, les pouvoirs dominants et leurs médias vantent les mérites du « processus de paix » nord irlandais. La présente étude cherche à montrer que ce processus n’arrive pas à lier “paix” et “justice” et que pour cela il est plus exact de parler de « processus de pacification ».
Contre les discours dominants réduisant ce qu’on appelle la “question irlandaise” à un problème insulaire et à des haines ancestrales, cette étude la place dans le contexte du colonialisme, de l’impérialisme et des luttes de libération. »

A l’occasion de la venue de Liam Ó Ruairc en Bretagne venu pour y présenter son livre « Paix ou Pacification ? L’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA » paru aux éditions STOURMOMP, les militants du NPA Finistère ont réalisé cette entrevue avec l’auteur. Nous la republions donc.

Question : Quelles sont les principales thèses défendues par cet ouvrage ?

L’État britannique sort vainqueur du conflit qui l’a opposé à l’IRA durant des années.

Les républicains irlandais acceptent à présent les termes politiques pour la résolution du conflit proposés par leur adversaire depuis 1972.

La souveraineté de l’État britannique (sur les 6 comtés) a été renforcée par les Accords de 1998.

Ces Accords loin d’être un compromis honorable représentent un changement constitutionnel déséquilibré en faveur de l’unionisme. Pour reprendre les mots de Tony Blair, Premier Ministre britannique : « Ces Accords offrent aux unionistes toutes les exigences-clés qu’ils ont formulées depuis la partition il y a 80 ans. »

Si on traduisait la chose en langage syndical, on devrait dire que la direction républicaine a réussi à obtenir une semaine de six jours et une baisse des salaires. Le Sinn Féin déguise son échec stratégique comme une ‘nouvelle phase de la lutte’. C’est un peu comme ce général qui aurait un jour déclaré ‘nous ne reculons pas, nous manœuvrons’.

Mais comme l’a souligné Bernadette Devlin-McAliskey, d’un point de vue républicain le proces- sus de paix ne pouvait être qu’« idéologiquement mauvais et tactiquement stupide » ; vu que son objectif principal était « la dé-militarisation, la dé-radicalisation et la dé-mobilisation du mouvement de résistance » et cela s’est avéré vrai. Non seulement cela représente une défaite pour le républicanisme, mais le Sinn Féin rejoint le système auquel il était opposé.

Ce à quoi le processus a aboutit est au mieux une espèce de version irlandaise du pacte Hitler-Staline plutôt qu’un modèle pour la paix mondiale.

L’ouvrage montre aussi que le ‘processus de paix’ en Irlande du Nord n’est pas seulement politique, mais comprend également un volet économique basé sur l’idée que le néo-libéralisme favorise la paix et la prospérité. Dans ce village Potemkine de la paix néo-libérale qu’est l’Irlande du Nord, l’ouvrage prouve que ceux qui ont été le plus affectés par le conflit ne sont pas ceux qui bénéficient des supposés ‘dividendes de la paix’ et dans beaucoup de cas leur situation sociale et économique s’est détériorée depuis 1998.

Ce qui existe aujourd’hui en Irlande du Nord est un simulacre de paix et pas une paix véritable, car ce n’est pas une paix fondée sur la vérité (l’idée de vérité est vue comme néfaste), la liberté (vu que la domination de l’État britannique a été renforcée) et l’égalité (étant donné que les inégalités sociales et économiques se sont approfondies). C’est pour cela qu’il est préférable de parler de ‘processus de pacification’ au lieu de ‘processus de paix’. Le ‘processus de paix’ ne peut pas même être qualifié de ‘révolution passive’.

Il faut aussi souligner que cet ouvrage critique non la ‘paix’ mais le ‘processus’. Que l’IRA mette fin à ses actions armées est une chose qui peut se comprendre mais le Sinn Féin rejoindre le camp adverse une autre !

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L’ouvrage donne une grande importance au contexte historico-mondial. Pourquoi ?

Il est erroné de voir l’Irlande du Nord comme un problème ‘insulaire’. Il faut voir cette question dans le cadre global de l’impérialisme et des luttes de libération. La résistance irlandaise a été très fortement associée à la montée des mouvements anti-impérialistes et anti-coloniaux. Le ‘processus de paix’ est un symptome de la crise et du déclin de ces mouvements à l’échelle internationale.

Le changement des rapports de force à l’échelle internationale après la chute de ce qu’on appelait le ‘socialisme réellement existant’ a mis les mouvements de libération nationale ‘réellement existants’ et autres forces anti-systémiques dans une position de faiblesse et les force à accepter des termes défavorables. C’est dans ce contexte qu’il faut voir le processus de pacification et ce qui l’a rendu possible. Le ‘processus de paix’ est la version irlandaise de la thèse proclamée par l’idéologue de la Maison Blanche Francis Fukuyama de la ‘fin de l’histoire’.

Comment expliquer que le gros des sympathisants du Sinn Féin et de l’IRA Provisional soient restés loyaux au mouvement et sa direction alors que ceux-ci ont abandonné les principes républicains ?

Le fait d’être loyal au mouvement plutôt qu’à l’idéologie est le facteur décisif. Le vétéran républicain Brendan Hughes rappelait que le mouvement a toujours exploité la loyauté de ses membres. Cela indique la primauté de l’unité organisationnelle sur l’unité autour de principes idéologiques. C’est la version irlandaise de la maxime social-démocrate ‘le mouvement est tout, les principes ne sont rien’.

Un autre point important est que la direction du Sinn Féin et de l’IRA est arrivée à vendre à leur base la dilution de leurs principes en déclarant que ce n’étaient pas des ‘principes’ mais des ‘tactiques’. La confusion délibérée des principes et des tactiques débouche sur une situation ou il n’y a plus aucun principe et tout est juste une ‘tactique’.

En termes de comparaison internationale, le journaliste et politologue Kevin Rafter ne trouve pas d’autre exemple de mouvements politiques qui ont été aussi loin que le Sinn Féin et l’IRA dans la dilution de leurs principes fondamentaux : « Aucun autre parti politique en Europe n’a subi une telle révision radicale de ses principes de base, pas même les anciens partis communistes en Europe centrale et orientale qui se sont transformés en entités sociales démocrates au lendemain de la chute du bloc soviétique » écrit-il dans son livre de 2005 sur le Sinn Féin.

Sur cette base il est possible de déguiser l’opportunisme en ‘pragmatisme’ et ‘réalisme’.

En termes de couverture médiatique ce sont les organisations républicaines voulant poursuivre la lutte armée qui reçoivent le plus d’attention. Que penser de celles-ci ?

Pour utiliser les termes de Gramsci, ces organisations veulent engager une « guerre de mouve- ment » alors que non seulement on n’est pas même capable de se lancer dans une « guerre de position » mais l’heure est à battre en retraite stratégique !

Le dirigeant républicain Brendan Hughes soulignait qu’en Irlande du Nord non seulement les gens en ont marre de la guerre, mais ils en ont marre de la politique tout court. Il n’y a aucun appétit pour la guerre et très peu d’intérêt pour la politique. On vit dans une époque thermidorienne où on assiste à l’atomisation, la dépolitisation, la dé-mobilisation et la dé-radicalisation des acteurs sociaux et politiques. Le capitalisme malheureusement semble l’ horizon indépassable de notre temps.

Ces organisations mènent des actions armées mais n’ont même pas commencé à se lancer dans la bataille des idées. La bataille la plus importante à mener aujourd’hui est la bataille des idées. L’impératif est de forger une « direction intellectuelle et morale » (pour encore emprunter un concept gramscien) et non des actions armées qui ont des effets politiques très réduits.

Cet ouvrage éspère contribuer à cette bataille des idées et offrir un contrepoids à la ‘propa- gande de la paix’ qui domine aujourd’hui le discours sur l’Irlande du Nord. Pour conclure en termes de perspectives: « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté »…

Le 27ème festival du livre de Carhaix (29 et 30 octobre) est consacré à l’Irlande. Ce rendez-vous incontournable de l’édition et du livre en Bretagne n’hésite pas à choisir des thèmes à la frontière du culturel et du politique. En consacrant son édition de 2016 à L’Irlande, 100 ans après l’insurrection de 1916 le festival ne déroge pas à cette tradition.

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Le programme et la liste des auteurs et éditeurs présents (de langue bretonne ou de langue française) est consultable ici et . Un certain nombre d’auteurs Irlandais et d’officiels de la république d’Irlande seront présents.

Par ailleurs un colloque aura lieu le vendredi 28 et le samedi 29 octobre coorganisé par le C.R.B.C. de l’Université de Rennes 2 et en partenariat avec l’association Breizh-Eire sur l’histoire des relations britto-irlandaises.

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Nous attirons votre attention sur la présence à ce festival incontournable de Liam Ó Ruairc, écrivain républicain et socialiste Irlandais de Belfast qui vient de publier : « Paix ou Pacification ? L’Irlande du Nord après la défaite de l’IRA » aux éditions “Stourmomp”.

Un ouvrage qu’il présente comme ceci :

“Depuis des années, les pouvoirs dominants et leurs médias vantent les mérites du «processus de paix» nord irlandais. La présente étude cherche à montrer que ce processus n’arrive pas à lier «paix» et «justice» et que pour cela il est plus exact de parler de «processus de pacification».
Contre les discours dominants réduisant ce qu’on appelle la «
question irlandaise» à un problème insulaire et à des haines ancestrales, cette étude la place dans le contexte du colonialisme, de l’impérialisme et des luttes de libération.”

Il viendra pour présenter son livre le vendredi 28 octobre à Guingamp au Centre Culturel Breton à 18H30 (vente et signature sur place). Ce sera un moment privilégié pour discuter avec ce partisan de l’Irlande réunifiée et néanmoins universitaire stimulant, qui jette un regard critique sur la pacification.

Pendant le festival du livre de Carhaix vous pourrez le rencontrer le samedi de 14h00 à 16h00 et le dimanche de 10h00 à 12h00 sur le stand des éditions Coop Breizh qui distribue l’ouvrage.

Le livre est disponible en pré-vente pour 14 €, frais de port inclus pour l’hexagone sur le blog de Stourmomp qui est un collectif militant pour l’édition et la diffusion de matériel (en français ou en breton) de réflexion au service de la construction d’une république bretonne, libre, réunifiée, brittophone, socialiste et féministe dans une perspective internationaliste.

Compagnon de route des courants socialistes républicains irlandais, Liam Ó Ruairc a été un contributeur fréquent du (regretté !) site francophone Libération Irlande jusqu’à sa fin en 2013. Il répond ici à cinq questions posées au sujet du Brexit. Nous l’avons sollicité pour répondre à cette interview dans les jours qui ont suivit la victoire des partisans du Brexit, et nous le remercions vivement pour ses réponses.

Bretagne Infos.

I. QUELLES FORCES POLITIQUES ONT FAIT CAMPAGNE POUR LE ‘LEAVE’ EN IRLANDE DU NORD ?

Le 23 Juin 2016 l’éléctorat du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été appellé à se prononcer pour savoir si le Royaume-Uni devait rester ou quitter l’Union Européenne. Le taux de participation a été important, avec 72.2% de participation de l’électorat. Quitter l’Union Européenne a remporté avec 51.9% des votes, contre 48.1% préférant rester. Les endroits où le vote en faveur de rester dans l’Union Européenne a été le plus élevé sont Londres, l’Écosse et l’Irlande du Nord.
En Irlande du Nord le vote en faveur de rester dans l’Union Européenne s’élevait à 55.8%, contre 44.2% pour la quitter. Tous les partis unionistes et groupes loyalistes à l’exception du parti unioniste UUP ont fait campagne pour sortir de l’Union Européenne. Les deux partis qui représentent la vaste majorité de l’éléctorat nationaliste, le SDLP et le Sinn Féin de Gerry Adams ont appellé à voter pour rester dans l’Union Européenne. L’Irlande du Nord est divisée en 18 circonscriptions électorales, et sur celles-ci 11 ont voté pour rester et 7 pour se retirer de l’Union Européenne. Sans surprises, toutes les 7 où le Brexit l’a emporté ont une majorité unioniste et la majorité des 11 qui ont voté pour rester une majorité nationaliste. Des estimations fiables estiment que 70% de l’électorat unioniste a voté Brexit et entre 80% et 90% de l’électorat nationaliste a voté pour rester dans l’Union Européenne. Les médias ont souligné l’ironie du fait que la vaste majorité des unionistes et des loyalistes ont voté pour ‘Brits Out’ (‘Anglais dehors’) alors que la vaste majorité des nationalistes ont voté ‘Brits In’.
La question du Brexit n’a pas suscité en Irlande du Nord les passions que ce débat a généré dans le restant du Royaume-Uni. Cela peut être illustré par le fait que seul 62.69% de l’électorat en Irlande du Nord a participé au référendum contre une moyenne nationale de 72.2%. L’Irlande du Nord est fortement représentée parmis les circonscriptions électorales où la participation a été la plus faible. Cela dit, ce référendum a vu en Irlande du Nord le plus haut taux de participation électorale depuis 1998. Pour prendre un exemple récent, lors des élections pour le parlement d’Irlande du Nord du 5 Mai 2016, le taux de participation électorale était de 54.9%. La diminution du taux de participation électorale en Irlande du Nord depuis 1998 est symptôme d’un climat général de dépoliticisation, mais cela n’explique qu’en partie l’indifférence de l’électorat pour la question de se prononcer si il faut sortir de l’Union Européenne. Il est important de souligner que les problèmes qui ont étés au centre du débat sur Brexit dans le reste du Royaume-Uni -l’immigration et la sécurité en particulier- ont une importance négligeable en Irlande du Nord. Ici l’immigration n’existe pas véritablement comme ‘problème’ et les gens n’ont pas la même motivation qu’ailleurs de voter pour freiner soi-disant les hordes migratoires à qui l’Union Européenne permettrait d’ “envahir” la Grande-Bretagne.
Car il faut souligner que dans le cadre général du Royaume-Uni ce sont les forces les plus rétrogrades qui ont dominé le débat sur le Brexit (Boris Johnson, Nigel Farrage etc), les forces anti-capitalistes ou anti-impérialistes avaient un poids marginal. Ceux qui appellaient à voter pour un retrait de l’Union Européenne sur base d’un ‘Lexit’ (‘Left Exit’ – sortir de l’Union Européenne sur la gauche) étaient une force très minoritaire. En Irlande du Nord les arguments en faveur du Brexit ont été en vaste majorité faits par des Unionistes et des Loyalistes sur base d’une nationalisme Anglo-Britannique rétrograde. Il y avait un courant minoritaire appellant à une sortie de l’Union Européenne sur une base anti-capitaliste et anti-impérialiste.

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Chez les républicains les plus visibles ont étés le parti socialiste républicain Éirígí (1) ou l’ex-prisonnier républicain et gréviste de la faim en 1980 Tommy McKearney (2). La gauche anti-capitaliste (mais non-indépendantiste) –People Before Profit- s’est également mobilisée pour un retrait sur cette base. Sur base des résultats, leurs consignes de votes n’ont eu aucun impact. Prenons l’exemple de la circonscription électorale de Belfast Ouest dans laquelle je réside. Lors des élections du 5 Mai 2016, Gerry Carroll le candidat de la gauche anti-capitaliste People Before Profit a été remarquablement élu en tête de liste avec 8299 votes loin devant le candidat du Sinn Féin arrivant en seconde place avec 4769 votes – ce sur un taux de participation de 56.7%. Gerry Carroll a appellé a voter pour une sortie de l’Union Européenne sur une base anti-capitaliste. Lors du référendum du 23 Juin 2016, la circonscription électorale de Belfast Ouest a voté 74.1% en faveur de rester dans l’Union Européenne contre 25.9% pour en sortir. Le taux de participation était de 48.9%, un des plus bas de l’ensemble du Royaume-Uni. Vu la faiblesse et le faible poids des forces ‘progressistes’ ce sont essentiellement les courants les plus rétrogrades qui vont profiter du Brexit. Ce n’est pas un ‘Lexit’ mais plutôt un ‘Rexit’ – une sortie de l’Union Européenne sur la droite.
D’ailleurs le plus notable depuis le résultat du référendum est une explosion d’attaques et d’agressions racistes. Selon certaines sources, ce genre d’attaques a augmenté par 57% durant les sept jours qui ont suivit la victoire du Brexit. (3) Le pire jour a été le 25 juin qui a vu une moyenne de 12 attaques par heure. Comparé à la même période en 2015, la période entre le 16 et le 30 juin a vu une augmentation de 42% d’agressions racistes dans le Royaume-Uni. (4) Les minorités raciales, étrangers résidant en Irlande du Nord témoignent d’une situation très tendue et qui s’est dégradée depuis le référendum. (5) Pour prendre un exemple que je connais, comme les médias l’ont rapporté, dans les jours suivant la victoire du Brexit, Mohammed Samaana, un camarade Palestinien travaillant comme infirmier dans un hôpital à Belfast a été insulté en public dans le centre ville de Belfast par des gens lui disant de “rentrer chez lui” (sic !) car le Brexit avait gagné – ce genre de choses n’était pas arrivé au cours des plus de 15 années pendant lesquelles il a travaillé ici. (6) Bernadette Devlin-McAliskey, figure historique de la résistance irlandaise opposée au processus de pacification et sans illusions dans l’Union Européenne ne peut célébrer le Brexit, car selon elle ce sont ce genre de tendances racistes, xénophobes et rétrogrades que Brexit encourage et nourrit. (7) Comme l’a rappellé Étienne Balibar, le Brexit est l’anti-Grexit. (8) Beaucoup de républicains croient que Brexit affaiblit l’impérialisme. (9) Mais mon avis est que ce ne sont pas les tendances anti-capitalistes et anti-impérialistes qui vont profiter du Brexit. Le principal gagnant est un nationalisme anglais rétrograde.

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Matériel de propagande de Eirigi

II. POURQUOI LE SINN FÉIN DIRIGÉ PAR GERRY ADAMS A-T-IL FAIT CAMPAGNE POUR LE REMAIN? PAR PUR OPPORTUNISME OU POUR AFFAIBLIR L’ÉTAT BRITANNIQUE OU PAR INTÉGRATION DE CE PARTI DANS UN ESPACE POLITIQUE NORMALISÉ ET SON ACCEPTATION DES VALEURS PRO-UE ?

D’un point de vue général, le parti de Gerry Adams est passé d’une position d’opposition à ce qui était la Communauté Européenne puis Union Européenne à une position d’ “engagement critique” et finalement à une position d’acceptation de l’Union Européenne avec certaines réserves. (10) Ce changement de positions est apparue pour Anthony Coughlan -principale figure publique opposée en Irlande au projet de construction européenne depuis les années ’60- comme étant un abandon de la perspective républicaine irlandaise traditionelle sur la construction de l’Europe du marché commun. (11)
Dans le cadre particulier de la question du Brexit, la position du parti de Gerry Adams a plus à voir avec le fait qu’une sortie du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord représenterait un pas en arrière pour la stratégie du parti en Irlande. (12) Un pas en arrière pour trois raisons. Premièrement le parti de Gerry Adams croit que la marche vers l’unification de l’Irlande est inéluctable, et dans le cadre de la construction européenne la frontière et la partition de l’Irlande apparaissent comme un anachronisme. Une sortie de l’Union Européenne ne pourra que renforcer cette frontière et la partition de l’Irlande avec retour des postes de douanes, contrôles de police etc que l’Union Européenne est sensée dilluer. Deuxièmement les Accords du Vendredi Saint de 1998 ont incorporé d’importantes léglislations européennes relatives aux droits humains et l’égalité au niveau juridique. Le Brexit veut dire que ces conquêtes et les Accords de 1998 sont fragilisés ou remises en question. Troisièmement, l’Union Européenne est source de financements importants donnés dans le cadre du ‘processus de paix’. Les trois programmes PEACE de l’Union Européeenne ont donné de 1995 à 2015 €1.3 milliard à l’Irlande du Nord. Le programme PEACE IV a donné le 14 janvier 2016 encore €269 millions jusque en 2020.Ces financements vont par exemple pour des groupes d’ “ex-combattants”, d’anciens prisoniers républicains. Les financements que les militants du Sinn Féin ont obtenu de l’Union Européenne se comptent en millions d’Euro. (13) Le Brexit veut dire que la base du parti de Gerry Adams va perdre d’importantes sources de financements. Se prononcer en faveur d’un retrait de l’Union Européenne aurait été pour le parti de Gerry Adams scier la branche sur laquelle il est assis.

III. QUELLES PERSPECTIVES CONCRETES ENTRAINE CETTE VICTOIRE DU ‘LEAVE’ POUR LES PARTISANS D’UNE IRLANDE UNIE, ET PLUS CONCRETEMENT QUELLES PEUVENT ETRE LES CONSEQUENCES SUR LE PRETENDU PROCESSUS DE PAIX?

L’historien britannique John Newsinger avait décrit le processus de pacification comme étant la reconstruction de l’ordre bourgeois dans le cadre non de l’Empire Britannique, comme le traité de 1921,mais dans le cadre de l’Union Européenne. Les Accords de 1998 étaient construits sur l’idée que les États britannique et irlandais allaient continuer a faire partie de l’Union Européenne. Comme l’indique ma réponse à la question précédente tout un ensemble d’aspects juridiques incorporés dans les Accords de 1998 risquent d’être remis en question. Vu que ça retire l’aspect européen, le Brexit change le contexte dans lequel le processus de pacification se construit.
Les résultats du référendum sont une injection de réalité. Ils montrent que la frontière, la partition de l’Irlande sont toujours là et vont se renforcer. Le fait que Theresa Villiers, la Secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord refuse de donner à l’Irlande du Nord ,le droit de négocier un statut spécial au sein de l’Union Européenne montre que le véritable pouvoir se trouve à Londres et non au sein de l’Assemblée d’Irlande du Nord, et que ce pouvoir se moque de ce que la majorité -55.8%- de l’électorat d’Irlande du Nord souhaite. (14)

IV. QUELLE EST L’IMPORTANCE DU DÉBAT SUR L’INDÉPENDANCE DE L’ÉCOSSE ET UN ÉVENTUEL RÉFÉRENDUM EN IRLANDE?

Avec 62% en faveur de rester dans l’Union Européenne, l’Écosse a eu le taux le plus élevé du Royaume-Uni de l’électorat pour ‘remain’. Suite à la victoire du Brexit, le Premier Ministre de l’Écosse Nicola Sturgeon parle d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse si la Grande Bretagne sort de l’Union Européenne.

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Si la question de l’indépendance de l’Écosse accentue la crise de l’État britannique, un référendum en Écosse est quelque chose de très différent qu’un référendum en Irlande. Les paramètres et préconditions pour un référendum sur la réunification possible de l’Irlande sont entièrement déterminés par l’État britannique, alors que les écossais peuvent décider quand ils veulent un référendum et quelles sont les questions posées. En vertu des Accords de 1998, un référendum sur la réunification de l’Irlande ne peut avoir lieu qu’une fois tous les sept ans. L’unité irlandaise se produit si cette option est soutenue par une majorité en Irlande du Nord et une majorité en République d’Irlande dans un référendum séparé. Très important, dans le cadre de l’Écosse il n’y a pas de controverses sur l’unité légitime pour l’autodétermination, alors que considérer les six comtés que comprend l’Irlande du Nord comme l’unité légitime pour l’autodétermination a peu de raison d’être politiquement, géographiquement ou historiquement. Les républicains diront que l’unité légitime sont les 32 comtés de l’Irlande, pas deux référendums séparés dans deux entités de 6 et 26 comtés basés sur des questions différentes. En Irlande l’unité pour l’autodétermination -et donc la démocratie- est fracturée, mais pas en Écosse. Les choses sont aussi compliquées par le fait que l’ancien Taoiseach (Premier Ministre) du gouverement de Dublin Bertie Ahern (qui avait négocié les Accords de 1998) a déclaré qu’une simple majorité -51% par exemple- ne serait pas suffisante pour une Irlande unie. (15) Les paramètres et préconditions pour un référendum sur la réunification possible de l’Irlande sont entièrement déterminés par l’État britannique. En vertu de la législation actuelle (Schedule 1 of the 1998 Northern Ireland Act), le gouvernement britannique par le biais de son Secrétaire d’État décrète que premièrement lui seul peut ou non faire appel à un référendum, deuxièmement décider de “la ou les questions qui doivent être posées”, et troisièmement n’organiser un référendum que si le Secrétaire d’État estime qu’il est probable “que la majorité des votants exprimerait le souhait que l’Irlande du Nord devrait cesser de faire partie du Royaume-Uni et faire partie d’une Irlande unie.” Après le référendum sur Brexit, le Secrétaire d’État à l’Irlande du Nord a exclu un référendum sur une Irlande unie sur base qu’un changement n’est pas susceptible d’être approuvé. L’opposition à un référendum sur la réunification de l’Irlande a aussi été exprimée ces derniers jours par le Premier Ministre du Royaume-Uni David Cameron et le Taoiseach (Premier Ministre) du gouvernement de Dublin Enda Kenny et son Ministre des Affaires Étrangères Charlie Flanagan. (16)

V. COMBIEN DE PERSONNES SONT DÉTENUES EN IRLANDE ACTUELLEMENT DANS LE CADRE DU CONFLIT ?

La libération anticipée des prisonniers suite aux Accords de 1998 pourrait donner l’impression que ce sujet est à présent résolu. Mais le problème est que il continue à y avoir des prisonniers républicains, même si ils sont beaucoup moins nombreux que durant la période 1969-1998. Environs 300 républicains ont été emprisonnés entre 1999 et 2009 au sud et au nord de l’Irlande, en Angleterre et ailleurs. Selon les statistiques fournies par les autorités pénales, fin 2015 il y avait un total de 54 républicains emprisonnés à Roe House dans la prison de Maghaberry en Irlande du Nord et environs 40 dans la prison de Portlaoise dans le sud de l’Irlande. Au moins quatre de ces prisonniers sont condamnés à perpétuité, parmis eux les ‘deux de Craigavon’. Ceux-ci sont emprisonnés à vie pour avoir tué un gendarme en 2009, mails il y a de sérieuses raisons de penser qu’ils sont innocents et une campagne importante a été mise en place pour les innocenter. Dans certains cas, comme actuellement celui de Tony Taylor, les républicains sont emprisonnés sans accusation ni procès. Dans le nord fin 2015 il y avait aussi 53 loyalistes incarcérés à Bush House dans le prison de Maghaberry mais pour des délits de droits commun (traffic de drogues etc) Dans le nord, les prisonniers politiques représentent actuellement environs 3.5% de la population carcérale qui s’élève aujourd’hui à 1507 détenus. Les prisonniers ‘sociaux’ sont beaucoup plus nombreux que les ‘politiques’ vu que l’Irlande du Nord a le plus haut taux du Royaume-Uni de gens en prison pour non-paiement de dettes. L’État britannique a décidé d’abolir tous les gains et privilèges obtenus dans les luttes carcérales durant le conflit et de traiter les républicains emprisonnés après les Accords de 1998 comme des criminels ordinaires. Cela a donné lieu à une série de luttes depuis 1999. Comme durant les années ’70, les prisonniers républicains ont mené une grève de l’hygiène du 4 avril au 12 août 2010 et du 6 mai 2011 au 20 novembre 2012 pour protester contre le fait d’être bloqué en cellule 23 heures par jour et les fouilles corporelles brutales. Le système carcéral n’a pas subit de réformes après 1998, et en 2011, une commission officielle a admit que le régime carcéral en Irlande du Nord était “ oppressif ”. Si en Grande Bretagne il y en moyenne trois gardiens pour 12 prisonniers, en Irlande du Nord la moyenne est de cinq gardiens pour trois prisonniers, soit six fois plus. Dans le cadre de cette situation, les républicains ont éxécuté deux gardiens de prison, le 1 Novembre 2012 et le 4 Mars 2016. La situation des prisonniers occupe une part très importante (disproportionnée peut-être) des activités des organisations républicaines opposées au processus de pacification.

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NOTES

(1) Gerry Moriarty, Éirígí backs Brexit with Northern Ireland poster campaign, Irish Times, 30 May 2016
(2) Rodney Edwards, What Brexit means for ex-hunger striker Tommy McKearney, Irish Times, 30 June 2016
(3) Peter Geoghean, Brexit result triggers wave of hate crimes in UK, Irish Times, 1 July 2016
(4) Hayden Smith, Police faced big spike in hate crimes in June, Belfast Telegraph, 9 July 2016
(5) Amanda Ferguson, Ethnic minorities in NI warn of rise in racist abuse since Leave vote, Irish Times, 28 June 2016
(6) Jonny Bell, Belfast nurse told ‘You from the EU? F*** off back to your country’ during night out in city, Belfast Telegraph, 28 June 2016
(7) Gerry Moriarty, Brexit campaign in North ‘played on racism and emotions’, Irish Times, 1 July 2016
(8) Étienne Balibar, Le Brexit, cet anti-Grexit, Libération, 27 Juin 2016
(9) British referendum result weakens old and new imperialism, Saoirse, July 2016
(10) Agnès Maillot (2009), Sinn Féin’s Approach to the EU: Still More ‘Critical’ than ‘Engaged’?, Irish Political Studies, 24:4, 559-574
(11) Anthony Coughlan, Sinn Féin goes Republican Lite on Brexit, Village Magazine, 20 June 2016
(12) Sarah Bardon, Sinn Féin to campaign against Brexit in EU referendum, Irish Times, 24 December 2015
(13) Maeve Sheehan, Ex-prisoners and dissidents share in €333m EU peace cash bonanza, Irish Independent, 24 January 2016
(14) Neither Holyrood nor Stormont could block Brexit, insists Theresa Villiers, Belfast Telegraph, 26 June 2016
(15) Laurence White, 51% majority not enough for Irish unity: Ahern, Belfast Telegraph, 20 November 2008
(16) John Manley, Sinn Féin call on border poll rejected, Irish News, 25 June 2016