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Le bimensuel Suisse “SolidaritéS” qui se définit comme socialiste, féministe, écologiste a interviewé Anna Gabriel Sabaté militante féministe et indépendantiste catalane exilée en Confédération Helvétique en raison du risque de poursuite par l’Espagne pour l’organisation du référendum d’indépendance en Catalogne. En ce moment de nombreux dirigeants indépendantistes catalans sont jugés et risquent de lourdes peines à Madrid pour ce faits. Nous reproduisons ici cet interview d’actualité.

Bretagne Info.

Anna Gabriel à Nantes en Bretagne il y a quelques années.

Notre rédaction s’est entretenue avec Anna Gabriel, ancienne députée de la Candidature d’unité populaire (CUP) au Parlement de Catalogne, au sujet des procès qui se sont ouverts contre les représentant·e·s institutionnel·le·s du gouvernement Catalan pour sédition.

Dix représentant·e·s du gouvernement Catalan et deux porte-paroles des mouvements sociaux (Assemblée Nationale Catalane et Omnium Cultural), en prison depuis une année, sont appelé·e·s à comparaître depuis le 12 février. Pourquoi ce procès ?

Le Procureur général de l’État espagnol a déposé une plainte pénale à l’encontre du gouvernement et de l’ensemble du Bureau du Parlement de Catalogne. Ils·elles sont accus·é·s de rébellion et de sédition. Les deux Présidents de l’ANC et d’Omnium Cultural, associations qui comptent 160 000 membres, sont emprisonnés depuis le 16 octobre dernier au motif qu’ils auraient pu inviter la population à une mobilisation ; un appel jugé criminel par le Procureur de l’État espagnol.

Le parti d’extrême droite Vox, récemment élu au sein du Parlement andalou fait partie de l’accusation. Placé aux côtés des avocats de l’État, il demande 74 ans de prison pour les prisonniers·ères politiques. Vox, fort de son récent succès, a été invité cette semaine au Parlement européen par le parti « Loi et Justice » de Hongrie qui soutient littéralement que «l’immigration peut amener en Europe des pandémies» ou encore que la loi contre les violences de genre doit être abrogée.

Ce procès signifie la défaite de la société civile. Il est la conséquence de l’irresponsabilité de nombreux·euses dirigeant·e·s politiques de l’État espagnol, qui déclarent depuis des décennies que l’unité de l’Espagne ne peut pas être remise en cause. Donc, ce procès est un non-sens. C’est pourquoi certain·e·s défenseurs·euses, certain·e·s accusé·e·s, ont clairement déclaré vouloir accuser l’État de violations des droits fondamentaux perpétrées au nom de l’unité de l’Espagne.

Et maintenant, que faire ?

Il faut continuer à défendre la lutte pour les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, car elle en vaut plus que jamais la peine. Continuer à nous battre, car pour l’instant aucun argument raisonnable n’a été avancé qui indique qu’un référendum n’est pas un bon moyen de connaître le véritable appui de la population à l’indépendance de la Catalogne ; une confrontation indispensable avec l’État espagnol que la CUP articule avec la nécessité de proposer des alternatives économiques au système actuel.

Dans le cadre de la monarchie parlementaire, de par la genèse-même de l’État espagnol – et cela nécessiterait une analyse approfondie – il y a peu d’options pour la création d’un système économique plus juste et générant moins d’inégalités. Les partis de gauche ont trop souvent relégué la question de l’indépendance à un addendum de leur lutte politique et sociale. Notre alliance avec eux passe par la reconnaissance de l’exigence de fonder la république, qui est le meilleur moyen de démocratiser l’État.

Certain·e·s pourraient penser qu’il faut oublier tout ce qui s’est passé et attendre de voir si, un jour prochain, les deux tiers du Congrès espagnol décident de modifier la Constitution espagnole de 1978, notamment l’article stipulant que l’unité de l’État espagnol est indissoluble. Notre réponse est simple : nous ne luttons pas pour établir un nouveau cadre territorial. Nous voulons contribuer à un monde plus juste, nous voulons mettre la vie au centre et nous désirons établir des normes juridiques et politiques qui répondent aux besoins de la majorité de la population et non des élites. Rien de tout cela n’est possible dans le cadre de l’État espagnol, malheureusement, car la tendance à l’autoritarisme est encore trop présente.

Ainsi, je ne sais pas si la République catalane sera féministe, mais je sais qu’il sera possible, au moins, d’avoir un processus permettant de définir des bases constitutionnelles dans une perspective de genre. C’est déjà beaucoup plus que ce que nous avons et c’est quelque chose que nous ne pouvons ni ne devons abandonner.

Propos recueillis par Juan Tortosa

Traduction : Delphine Rumpczyk

La Gauche indépendantiste dénonce vivement la dérive dictatoriale du gouvernement espagnol en Catalogne. Après l’incarcération de cinq nouveaux dirigeants indépendantistes catalans vendredi, Jordi Turull, candidat à la présidence de la Generalitat, Carme Forcadell, ancienne présidente du Parlement catalan, Raul Romeva, Josep Rull, et Dolors Bassa, anciens ministres, c’est l’ancien président de la Generalitat, Carles Puigdemont, qui a été arrêté hier. Alors qu’il rentrait de Finlande en Belgique, où il est en exil depuis octobre 2017, Carles Puigdemont a été arrêté en Allemagne à la frontière avec le Danemark. Cette arrestation rendue possible par la réactivation d’un mandat d’arrêt par l’Etat espagnol depuis vendredi l’a été également par la collaboration de la police allemande avec les services secrets espagnols. Carles Puigdemont a depuis été incarcéré dans une prison allemande en attente de présentation à un juge qui se prononcera sur son extradition.

C’est à une véritable criminalisation de la mouvance indépendantiste catalane à laquelle se livre Rajoy et ses sbires. Si le régime espagnol incarcère, il pousse aussi à l’exil politique. Après notre camarade Anna Gabriel exilée en Suisse, c’est vendredi au tour de Martina Rovira, n°2 d’ERC, de fuir les geôles madrilènes auxquelles elle s’estimait promise.

C’est dans le silence assourdissant des autorités européennes que vivent en exil des élus du peuple catalan, que sont embastillés dix prisonniers politiques. Tous poursuivis pour avoir appliqué le mandat que le peuple catalan leur a majoritairement confié par la voie des urnes. A cela, l’État espagnol répond par la répression judiciaire et policière puisque près de 100 manifestants ont été blessées hier soir à Barcelone, étant parfois même pourchassées jusque dans les bars.

Élevons-nous ici en Bretagne contre la dérive fasciste de l’État espagnol et la complaisance de l’État français toujours prompt à soutenir l’unité espagnole. Ainsi, le ministre des affaires étrangères Le Drian, affirmait le 27 octobre 2017 “La France souhaite que l’Espagne soit forte et unie. Elle n’y a qu’un seul interlocuteur qui est le gouvernement de Madrid. La constitution de l’Espagne doit être respectée. C’est donc dans ce cadre, qui est celui de l’État de droit, que la question de la Catalogne doit être envisagée. C’est la raison pour laquelle la France ne reconnaît pas la déclaration d’indépendance que le parlement catalan vient d’adopter.”

Nous dénonçons le silence complice des autorités européennes. Ces mêmes autorités qui par leur silence pourfendent la volonté des peuples opprimés de construire leur avenir. Au Kurdistan, où elles ont fermé les yeux sur les exactions du président turc Erdogan à Afrin, comme en Catalogne où elles sont abonnés absents pour condamner Rajoy et sa clique franquiste.

Nous appelons à soutenir toutes les initiatives qui pourraient être organisées en soutien avec la Catalogne ici en Bretagne où se trouvent le consulat d’Espagne à Rennes et les consulats d’Allemagne à Nantes, Brest et Rennes.

Liberté pour les prisonniers politiques !

Vive la Catalogne indépendante et socialiste !

 

Connue en Bretagne pour avoir animé le Forum citoyen de Bretagne à Nantes en 2013, la porte-parole de la CUP (Candidature d’Unité populaire, gauche indépendantiste) Anna Gabriel Sabate est poursuivie pour sa participation à l’organisation du référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 avec plus de 900 personnes (élu.e.s, citoyen.ne.s, membres de la société civil, fonctionnaires…).
Yann Chouq et Anna Gabriel Sabate à Nantes lors du Forum Citoyen de Bretagne le 15 juin 2013.
Plusieurs dizaines de personnes sont déjà emprisonnées ou en exil, à l’instar du président Puidgemont réfugié à Bruxelles depuis la fin du mois d’octobre. Alors que son procès débute mercredi, elle s’est réfugiée à Genève pour internationaliser la question catalane auprès de l’ONU qui siège dans la ville suisse.
En cas de demande d’extradition de la part de l’état espagnol ou elle risque 30 ans de prison, Anna Gabriel demandera l’asile politique pour pouvoir continuer d’exercer son travail de professeure de droit à l’université.

Nous apportons à Anna Gabriel et à tout.e.s les prisonnier.e.s, exilé.e.s et poursuivis par le gouvernement espagnol notre entière solidarité. Nous exigeons l’arrêt de la répression contre le mouvement populaire démocratique catalan et la reconnaissance de la république catalane.

Alors que les Pays Catalans s’activent pour organiser un référendum d’autodétermination le 1er octobre prochain, Madrid et le pouvoir central espagnol ne cessent de mettre la pression et cherchent à bloquer ces initiatives démocratiques en usant de lois répressives, en menaçant de lourdes amendes les organisateurs, et dernièrement en convoquant le président du « Pacte Nacional pel Referèndum » dans une caserne de la Guàrdia Civil, renvoyant ainsi à une image d’état d’exception militaire, similaire à ce que l’on voyait sous la dictature franquiste…

Le processus démocratique en cours dans les Pays catalans mérite donc tout notre soutien et le partage de connaissances sur ce sujet. La lecture d’un entretien de BALLAST avec Anna Gabriel — élue de la formation indépendantiste et anticapitaliste CUP (Candidatura d’Unitat Popular) au Parlement de Catalogne — y contribue largement tant elle fait la synthèse entre lutte de libération nationale et luttes émancipatrices sociales : éducation, féminisme, santé, droits des travailleuses & travailleurs, et de manière plus locale avec des propositions d’alternatives au niveau municipal tendant à récupérer plus de souveraineté dans différents domaines.

Issue des milieux libertaires et antifascistes, Anna Gabriel est aujourd’hui députée au parlement catalan pour la formation indépendantiste de gauche CUP (Candidature d’unité populaire), qui joue un rôle-clé dans le processus d’indépendance de la Catalogne. Nous avons parlé de libération nationale, de municipalisme et de perspectives émancipatrices autour d’un café.

Aux élections autonomes catalanes de septembre 2015 — plébiscite sur la question de l’indépendance, convoquées par le président du gouvernement autonome catalan Artur Mas — « Junts pel Sí », alliance de plusieurs formations indépendantistes, n’a pas eu de majorité absolue, faisant de la CUP, avec 8 % des suffrages, le « faiseur de roi ». Vous avez bataillé pendant trois mois pour éviter qu’Artur Mas ne redevienne le président du gouvernement catalan — avec succès. Une façon de mettre la question sociale au centre des enjeux ?

Oui, mais pas seulement. Artur Mas était une personne qui faisait encore le lien avec un passé autonomiste d’un parti politique, CiU (Convergència i Unió), qui a toujours servi à la gouvernabilité de l’État — que ce soit en tolérant le Parti populaire (PP) ou le Parti socialiste (PSOE) au gouvernement. Je crois que dans la mémoire de beaucoup de gens, on se demandait si ce nouvel indépendantisme affiché d’Artur Mas était honnête, ou si c’était une façon de survivre politiquement. Et il y avait aussi la question de la corruption. Son parti a été condamné dans plusieurs scandales et il semble peu crédible que lui-même n’ait eu aucun lien avec cela. Lors des négociations avec Junts pel Sí, on a mis plusieurs alternatives sur la table, mais on se retrouvait face à une attitude de fermeture totale. Après trois mois de discussions très intenses, on a réussi à obtenir un autre candidat.

Face au refus de Junts pel Sí de se reporter sur un autre candidat, vous avez laissé votre base décider de la marche à suivre — avec un résultat surprenant : 1515 voix pour un gouvernement d’Artur Mas, 1515 voix contre.

On continue d’être une organisation « assembléaire » et ce type de décisions très importantes est pris par la base. Une grande pression médiatique reposait sur nous tout à coup ; on était au centre de l’attention. Nous n’avions pas d’autres options que de débattre et de demander aux membres de choisir. On est arrivé ainsi à une assemblée de plus de 3 000 personnes, très tendues et très fatiguées, pour obtenir à la fin ce résultat, que nous avons qualifié par la suite de « poésie politique ». Avec ce coup de force, deux jours avant la fin de la période de formation d’un gouvernement, Junts pel Sí a fait marche arrière et a proposé Carles Puigdemont en tant que président. Je pense que cela démontre qu’on peut aussi faire de la politique sans oublier que la souveraineté de notre organisation politique repose sur les militants. D’ailleurs, nous, les députés, n’avons pas voté ni donné de consigne de vote. Nous avons démontré que malgré la pression, on peut rester fidèle à soi-même. Je pense que sur le plan politique, c’est une expérience très intéressante.

On a l’impression que depuis cette élection, le processus enclenché depuis quelques années est un peu encombré…

Je crois que c’est surtout dû au fait que Junts pel Sí avait un programme politique qui était pensé pour gagner. Leur feuille de route était : remporter la victoire avec une majorité absolue, puis, pendant 18 mois, commencer à construire les structures d’un État, avant de déclarer l’indépendance de façon unilatérale. Comme si tout allait être aussi facile ! Comme si faire une déclaration d’indépendance à l’État espagnol — pas un État qui a des fondements démocratiques, non, on parle de l’État espagnol — allait être facile ! C’est sûr qu’il y avait, à ce moment-là, une vraie dynamique en faveur de l’indépendance, mais pour nous il semblait clair que la victoire allait être vraiment difficile à obtenir. Et plus encore avec un résultat comme celui des élections de 2015. C’est vrai qu’il y a eu, après ces élections, une majorité de députés indépendantistes, mais les partis indépendantistes n’avaient pas eu plus de 50 % des suffrages. En même temps, on savait qu’il n’allait pas y avoir la possibilité de négocier avec l’État espagnol ; la seule option pour nous était de remettre l’idée d’un référendum au centre de l’agenda politique.

Avec succès ?

Junts pel Sí a accepté notre initiative, et maintenant, nous militons pour que ce référendum se déroule au plus tard en septembre. Le problème, c’est que l’État espagnol refuse catégoriquement. Cela implique donc de le convoquer et de le tenir contre son gré sachant qu’il n’hésitera pas à engager des poursuites judiciaires contre les personnes impliquées. Il faut s’attendre à ces conséquences, et être prêts à payer ce prix. Nous, on le sait et on est prêts.

Quelles suites judiciaires la tenue d’un référendum pourrait-elle avoir pour les politiciens impliqués ?

On ne le sait pas réellement. Tous les conseillers du gouvernement, ainsi que la présidente et le bureau du Parlement catalan, ont reçu une injonction de la Cour constitutionnelle les menaçant de sanctions pénales. Ces sanctions pénales peuvent aller de l’interdiction d’exercer des fonctions d’élu à des amendes ou des peines de prison.

Quel rôle une formation anticapitaliste comme la CUP peut-elle jouer dans un processus qui implique autant la social-démocratie que la droite catalanes ?

Celui de la contradiction permanente. On ne dit pas que Junts pel Sí représente la droite, même s’il est vrai qu’une partie de la plateforme a un passé très lié aux intérêts de l’État et qu’ils ont souvent défendu des politiques qui sont très éloignées des nôtres. Mais dans le parlement catalan, il y a le Parti populaire, qui est la vraie droite — antidémocratique et raciste — ; un Parti socialiste dont on sait depuis longtemps que malgré son nom, il ne sert en rien les intérêts de la classe ouvrière ; et Ciutadans, très centraliste et très libéral. Et puis il y a les descendants de l’ancien Parti communiste, qui ne sont pas de droite, mais qui ne nous aident pas par rapport à la question du référendum. Voilà le panorama politique catalan. Plutôt que d’être liés à la droite catalane, nous sommes liés à la démocratie. On aimerait pouvoir faire ce type d’alliance avec des formations qui ne soient pas liées à la corruption, au libéralisme économique, mais malheureusement nous sommes obligés de faire des alliances là où c’est possible, tout simplement.

La CUP se revendique du « municipalisme »…

Oui, nous appelons cela « municipalisme de libération ». Il s’agit surtout d’aller au-delà d’une vue centrée sur les institutions. Notre objectif est d’être présents dans les quartiers, les villages, les villes, d’y travailler avec les expressions organisées de la société civile, et, peut-être, d’accéder aux institutions. Nous essayons de faire émerger des alternatives réelles au niveau local. Nous travaillons beaucoup en faveur de casals [sorte de centres sociaux autogérés, ndlr] dans les villes, nous travaillons aussi avec les organisations étudiantes, les organisations féministes, nous soutenons les coopératives… Pour nous, les municipalités ne sont pas la première étape pour accéder à la politique « sérieuse », non, elles représentent l’enjeu principal.

…pourtant, en 2012, vous avez décidé de participer, pour la première fois, à des élections au niveau catalan.

C’est en 2009 que nous avons eu le débat pour la première fois. Ceux qui étaient contre une participation à des élections au niveau catalan — dont je faisais partie — argumentaient que notre projet municipaliste n’était pas encore assez bien ancré. Nous avions, à ce moment-là, vingt-sept élus au niveau municipal et nous étions d’avis qu’ils nous fallait encore travailler beaucoup plus à ce niveau, consolider cette base, pour ne pas oublier cette idée de générer des alternatives réelles au niveau local, une fois franchi le pas vers le niveau national [catalan, ndlr]. En 2012, la situation politique en Catalogne était autre et il était nécessaire, pour nous, qu’y participe une force anticapitaliste, féministe, avec des tendances libertaires, issue des mouvements altermondialistes. Il nous fallait montrer que c’était aussi ça l’indépendantisme, et qu’on pouvait le séparer strictement des questions identitaires.

La question de la participation à des élections à un autre niveau que municipal était donc plus une question stratégique qu’une question de principe ?

Peut-être que pour certains c’est une question de principe, mais c’est avant tout un débat stratégique que nous avons eu, oui. On avait vu beaucoup de déception par rapport à ce qu’avait été le Parti communiste, pour donner un exemple. Il avait une force extraordinaire pendant le franquisme, une capacité d’organisation et de résistance tout en construisant des alternatives réelles aussi ! Et tout à coup, quand la démocratie est arrivée, il a investi les institutions et beaucoup de choses ont changé. Ça nous fait très peur, cette idée de pouvoir devenir une caricature de ce que nous défendons. Comment prévenir ça ? Il n’y a pas de solution magique, mais je pense qu’en ayant une base locale très consolidée, qui comprend que l’objectif principal est de construire des alternatives depuis le bas, nous sommes mieux préparés à éviter ce genre de dérives.

Quelle stratégie politique la CUP poursuit-elle au niveau municipal ?

En ce moment par exemple, nous sommes en train de développer et de mener une stratégie dite « de récupération des souverainetés ». On applique cette idée à beaucoup de domaines, en se demandant notamment quel type de gestion on veut par rapport à l’eau ou à la santé publique. On est de plus en plus confronté à une logique d’externalisation ou de privatisation dans ces domaines, et cela empêche que les gens puissent décider des choses qui ont des répercussions sur leur vie de tous les jours. On espère ainsi donner du contenu à cette « souveraineté ». C’est un mot souvent utilisé, mais il est difficile de parler de souveraineté quand il n’y a pas les structures économiques et sociales qui permettent de décider.

Pour beaucoup, l’idée de l’État-nation est un concept intrinsèquement lié au nationalisme, à l’exclusion et aux conflits entre États. Comment penser l’émancipation tout en pensant en termes de nations ?

Si l’on se penche sur l’histoire de la Catalogne, on constate que ces aspirations indépendantistes n’ont rien à voir avec ce type d’imaginaire. Il faut aussi faire l’effort de décoloniser ses pensées : ne pas accepter ces aspirations, c’est aussi accepter ce qui existe déjà, c’est-à-dire l’État espagnol — qui est, lui, la pire des constructions. L’absence d’un projet alternatif équivaut à rester dans ce qui existe. Je n’arrive pas à comprendre comment dans une vue anticapitaliste ou libertaire des choses, on ne puisse pas voir l’opportunité révolutionnaire que nous posons sur la table. La République catalane sera-t-elle démocratique, égalitaire, féministe ? Nous ne le savons pas. En revanche, nous savons que tout cela est impossible au sein de l’État espagnol.

Pourtant, le paysage politique espagnol a beaucoup changé ces dernières années, avec, à la clé, peut-être une vraie perspective de changement…

Podemos, puisque c’est de cela qu’on parle, nous disait : « Attendez que nous gagnions les élections, que nous soyons au gouvernement, et vous l’aurez, votre référendum ! » Même si nous n’avions pas forcément envie d’attendre encore, nous leur disions que nous serions heureux qu’ils réussissent. Non seulement ils n’ont pas réussi à gagner, mais avec la force qu’ils représentent aujourd’hui, il est absolument impossible de réussir à modifier la Constitution espagnole. Nous disons donc à Podemos : « Si vous défendez le droit des peuples à décider de leur sort, il faut que vous travailliez avec nous ». Il ne s’agit pas des intérêts de la CUP, il s’agit de la grande majorité du peuple catalan qui veut décider de son avenir. Nous croyons aussi que nous pouvons, de par notre lutte, contribuer à dynamiter les bases de cet État espagnol impossible à changer.

Historiquement, les luttes de « libération nationale » se sont quasiment toujours faites à travers une alliance entre les classes ouvrières et la bourgeoisie nationale, et aux dépens du traitement de la question sociale…

Pour nous, il n’y a pas de hiérarchie entre la question nationale et la question sociale. Nous travaillons tous les jours en faveur de la justice sociale. Très souvent, au Parlement, nous ne soutenons pas les propositions du gouvernement, que ce soit lié aux questions d’éducation, de santé, ou d’autre chose. Parfois, nous restons isolés, par exemple lorsque nous demandons la nationalisation des infrastructures ou lorsque nous faisons des propositions destinées à combattre la corruption. Nous considérons que ce processus d’autodétermination est une rupture avec l’État, mais qu’il peut aussi l’être avec le système économique. Nous travaillons pour réussir à convaincre beaucoup de gens que l’indépendance ne signifie pas seulement changer de drapeau ou de langue officielle. Non, c’est un processus de démocratisation, surtout à un moment où dans l’Union européenne, il n’y a pas tellement d’options progressistes. La Catalogne pourrait devenir une sorte d’exemple à suivre au niveau européen.

Au sein du mouvement indépendantiste catalan, nombreux sont ceux qui défendent l’idée d’une Catalogne englobant les territoires catalanophones sur le territoire français. C’est une vue basée sur la question linguistique et des considérations historiques… Comment définissez-vous ce qu’est la Catalogne ?

Il est vrai, qu’à la base, la définition du sujet politique est principalement liée à la question linguistique, et aussi historique. Mais nous ne voulons pas d’un indépendantisme qui regarde toujours en arrière. C’est un projet du futur qui n’est pas lié à des questions identitaires. C’est un projet qui est surtout lié à la volonté des gens et au potentiel révolutionnaire du sujet. C’est révolutionnaire de combattre la cartographie du pouvoir. Suis-je féministe pour des questions liées à l’histoire, parce qu’on a brûlé les sorcières ? Oui, mais surtout pour des questions liées au futur, parce que je vois le potentiel révolutionnaire de la question. C’est la même chose avec la question nationale en Catalogne.

Vous venez des mouvements libertaires, historiquement très forts en Catalogne — tout comme le mouvement indépendantiste. Ces mouvements n’ont pas toujours entretenu de bonnes relations. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Je crois que le mouvement anarchiste en Catalogne, et je le dis avec beaucoup d’amour, en est encore aux années 1930, et pense encore à la révolution de 1936 et à l’expérience absolument brutale de la guerre civile. Je crois que, parfois, il ne réussit pas à actualiser son projet politique par rapport à la situation que nous vivons actuellement. Par ailleurs, je trouve qu’il est absolument nécessaire de travailler ensemble, parce que même si tu combats l’État en tant que construction, tu peux défendre le droit à l’autodétermination. Ce n’est pas une contradiction. Malheureusement, parfois dans les gauches, les étiquettes — et parfois les égos — nous empêchent de travailler beaucoup plus ensemble. Mais il y a beaucoup plus d’exemples de coopération que de l’inverse et au sein de la CUP, il y a beaucoup de personnes se revendiquant du libertarisme.

Comment voyez-vous l’avenir du mouvement indépendantiste ?

Je crois qu’on verra bientôt si nous avons la force de désobéir à tout un État et je crois que cela va être décisif. Si nous réussissons, je crois aussi que ça sera une très bonne nouvelle, non seulement pour la Catalogne, mais pour le monde entier : nous aurons réussi à démontrer que désobéir collectivement peut mener à un futur plus digne. Il y a également le risque de rester à l’intérieur du cadre posé par la loi, de devenir victimes de la répression, ou encore de ne rien changer. Nous travaillons pour rendre les gens conscients du fait que tout ce qui a été obtenu par la classe ouvrière l’a été grâce à la lutte, souvent à la désobéissance, et que beaucoup de gens en ont payé un prix très élevé. Tout cela ne sera pas facile, ce sera long.


REBONDS

Jean-Pierre Santini est un militant indépendantiste révolutionnaire corse qui a participé à la creation du FLNC en 1976, notamment à la rédaction de son manifeste. Il est aussi connu pour son engagement antiraciste.

Il vient de publier “FLNC memoria d’avenne” un texte dans lequel il plaide pour la constitution d’un FLNC public.

C’est une contribution intéressante pour le débat sur l’évolution institutionnelle de la Corse et celui du mouvement de libération nationale corse.

En effet depuis décembre les nationalistes (indépendantistes et autonomistes) sont majoritaires au sein de la CTC (Collectivité Territoriale de Corse), un succès historique qui intervient plusieurs mois après l’arrêt des actions du FLNC issu du canal dit “historique”, rejoint ils y a quelques semaines dans ce processus par une de ses scissions (LNC dit du 25 octobre).

Jean-Pierre Santini milite pour la construction de structures de contre-pouvoirs populaires pour subvertir la légalité et les limites de la CTC et ne pas sombrer dans la gestion des institutions. C’est un appel à l’auto-organisation populaire qui nous a semblé intéressant à plus d’un titre.

Cette interview pour l’hebdomadaire Settimana de Corse-Matin, à paraître le 13 mai 2016 n’a pas été publiée entièrement pour des questions de place dans ce journal. La voici en intégralité.

Bretagne-info.

Jean-Pierre Santini il y a quelques année.
Jean-Pierre Santini il y a quelques années.
  1. Vous militez pour la création d’un FLNC public politique. Quel devrait-être l’objectif de cette organisation ? Quel impact pourrait-elle avoir ? Combien de personnes comptez-vous dans vos rangs ?

RÉPONSE : L’objectif de cette organisation devrait être celui fixé par les fondateurs du FLNC dans le 5ème point du Manifeste du 5 mai 1976, à savoir des institutions parallèles (Cunsulta Naziunale) que le peuple corse peut se donner en faisait un usage associatif et démocratique de son Droit à l’autodétermination. L’impact d’un FLNC public fonctionnant selon une démocratie horizontale, sans leader et sans hiérarchie, sera effectif en fonction du niveau de conscience nationale atteint par ceux qui s’engageront dans la démarche.

  1. Cette structure publique « à visage découvert » n’est-elle pas en opposition vis-à-vis de la philosophie du FLNC « originel » de 1976 qui a été une organisation militaire et clandestine ?

RÉPONSE : Non, le FLNC conçu par ses fondateurs était une organisation politico-militaire où le politique commandait au fusil. L’aspect militaire devait se limiter à de la “propagande armée”. Les dérives militaristes et les drames que cela a engendrés sont le fait d’ouvriers de la 25ème heure qui ont fini par diviser et par liquider l’organisation pour replier le mouvement national sur des positions gestionnaires dans les institutions françaises en opposition avec la ligne originaire du Front.

  1. Vous souhaitez créer des institutions parallèles à celle de l’État sur le territoire corse. Pourquoi ? Est-ce seulement possible ? Comment cela se met-il en place ?

RÉPONSE : Le possible a déjà eu lieu avec l’élection de deux Cunsulte Naziunale (2007 et 2010) sur la base d’un corps électoral volontairement constitué de 4000 patriotes. Mais les organisations qui y participaient ont préféré intégrer les institutions françaises et, selon le mot d’un élu, mettre ainsi entre parenthèses la revendication d’indépendance. Cette mise entre parenthèse est une soumission à l’idéologie autonomiste que le Front n’a jamais acceptée parce qu’elle conduit notre peuple dans une impasse mortelle.

  1. Vous parlez dans le tract d’un « pouvoir populaire politique ». Qu’est ce que cela signifie ? Comment cela s’organise ? Quel est votre programme et votre vision politique ?

RÉPONSE : Il s’agit d’imaginer une démocratie réelle, celle où le peuple détient le pouvoir en permanence même si des représentants sont nécessaires. Toute une série de lois constitutionnelles peuvent permettre l’expression d’un démocratie horizontale et empêcher l’installation d’une classe politique carriériste (mandat unique et limité dans le temps, mandat impératif, procédures d’initiative populaire y compris pour destituer les élus, etc.). C’est le sujet du recueil “FLNC Memoria d’avvene”.

  1. Finalement, au regard du contexte politique, votre initiative peut être perçue comme quelque chose de folklorique…

RÉPONSE : Ce qui est folklorique c’est plutôt ce contexte politique et la dérive mimétique des élus, y compris nationalistes, qui finissent par adopter les postures, les dénominations (on se délecte du titre de “Président”) et le goût de la communication (c’est à dire de la représentation de soi) des élus habituels de la démocratie représentative. Agissant dans le cadre des institutions françaises, ces élus sont par définition “encadrés”. Ici, le folklore, comme tout folklore, use de réalités fantasmées. On se déclare “élus du peuple corse” quand on est élus du corps électoral français en Corse, on se présente comme “le gouvernement de la Corse” quand on est le simple exécutif d’une région française, on se déclare “majorité” quand on est minorité, bref une série d’éléments de langage dissimulant un réel qui est loin d’être advenu, celui de l’accession du peuple corse à la souveraineté nationale.

  1. Vous lancez ce mouvement au moment où les organisations clandestines annoncent une démilitarisation. Pourquoi avoir attendu ce moment-là ? Y-a-t-il une filiation entre le FLNC « originel » et celui que vous portez aujourd’hui sur les fonts baptismaux ?

RÉPONSE : La démilitarisation est un bien grand mot. On imagine un dépôt des armes alors que l’arme principale est celle de la conscience politique. S’il y a un lien entre le FLNC de 1976 et celui que l’on doit refonder publiquement aujourd’hui, c’est bien la priorité donnée à l’arme politique afin de transformer un sentiment national encore bien réel en une conscience nationale qui permette au peuple corse de prendre en main son destin sans passer par les urnes de la république française. Il faut privilégier un soulèvement de l’esprit au sein même de notre peuple. C’est plus difficile que de laisser les plus courageux prendre le chemin des bois et faire ainsi de la résistance par procuration.

  1. Vous avez participé à la création du FLNC en 1976. Aujourd’hui, cette organisation dit vouloir se mettre en retrait pour permettre aux nationalistes de mener à bien cette mandature. Comment l’expliquez-vous ? Le regrettez-vous ?

RÉPONSE : Le FLNC de 1976 n’existe plus depuis la première scission en 1989. C’est d’ailleurs à l’approche de cette scission que j’ai tenté une première fois, avec d’autres, d’initier la Cunsulta Naziunale (1987) pour éviter les drames que l’on sentait pointer. Ce n’est donc pas le FLNC qui se met en retrait, mais des groupes armés qui, à l’instar des autonomistes, pensent sans doute possible d’assurer la libération du peuple corse en l’inscrivant dans la Constitution française ! On atteint des sommets dans l’absence de cohérence politique et dans l’incompréhension de la nature même de l’État français parfaitement décrite par le FLNC du 5 mai 1976.

  1. Au regard des blocages successifs de l’État sur l’évolution de la question corse, on aurait pu s’attendre à un regain de violence. Or, l’inverse se produit. Comment l’expliquez-vous ?

RÉPONSE : Quand on habitue les peuples à des institutions qui ne sont pas les leurs, quand on affirme que c’est par elles qu’ils construiront leur destin, une soumission idéologique finit par s’installer. Cette soumission par rapport à l’État français et au système économique libéral est portée depuis toujours par les autonomistes. Cela est longuement analysé dans livre du FLNC “A Libertà o a morte”(1977) repris comme document de référence dans le recueil “FLNC Memoria d’avvene” récemment publié.

  1. Quel est votre regard sur les premiers mois de la mandature nationaliste à l’Assemblée de Corse ?

RÉPONSE : Les élus nationalistes sont des patriotes sincères, mais qui n’ont pas compris le système qui les encadre. Ils se prennent au jeu et comme tous les joueurs, ils ne savent plus qu’ils jouent. Ils sont condamnés à faire de la figuration comme c’est le cas, semble-t-il, pour la question particulière des transports maritimes où le rêve d’une compagnie régionale se brise sur la réalité patronale, c’est à dire là où est le vrai pouvoir.

  1. Vous dites souvent que les nationalistes se sont décrédibilisés en intégrant les institutions de la France. Pour peser politiquement et tenter de faire valoir leur vision de la Corse, on ne voit pas comment il pourrait en être autrement…

RÉPONSE : Il pourrait en être autrement en décrédibilisant les institutions françaises en Corse, donc en créant pour cela nos propres institutions (Cunsulta Naziunale, Comités de Pieve et de communes, etc.) et en s’adressant directement à la communauté internationale (Cf. Lettre à l’ONU de la Cunsulta Naziunale).

  1. Vous êtes aussi membre du collectif Terra d’accolta qui milite contre le fascisme et le racisme. Quel est votre regard sur les derniers événements d’Ajaccio, avec la mise à feu d’une mosquée et l’affaire des Jardins de l’empereur en décembre ? Cela montre que la lutte contre ce type de comportements n’est pas gagnée…

RÉPONSE : La lutte sera d’autant moins gagnée que les divers représentants ou personnalités publiques se contenteront de communiqués ponctuels, ce qui n’est pas le cas de Tarra d’Accolta dont les 35 auteurs ont rédigé un livre et le diffusent en organisant des réunions publiques. Là encore, il faut que la population elle-même se prenne en main et crée partout ou cela est possible des comités citoyens contre le racisme et la xénophobie. Ce n’est pas d’en haut ou de façon institutionnelle qu’on règle ces problèmes.

Nous reproduisons ici, à quelques jours de la célébration de la journée  de lutte internationale des femmes, un texte traduit par le collectif parisien “Libération Irlande“. Ce collectif de solidarité avec le mouvement républicain Irlandais le plus radical semble en sommeil, toutefois grâce à eux de nombreux textes des différentes factions du républicanisme Irlandais sont disponibles pour les lecteurs francophones.

Le texte “Féminisme et républicanisme irlandais” retrace la place supposée de la femme dans l’Irlande au moyen-âge mais surtout narre la genèse de la rencontre entre mouvement de libération nationale Irlandais, mouvement ouvrier et lutte féministe dans l’Irlande du 20eme siècle.

Bien qu’un peu daté ce texte montre bien le lien entre lutte pour l’autodétermination et émancipation féministe. Comme le rappelle une autre militante républicaine Irlandaise dans un autre texte  (jette ton tablier et prendre les armes ! ) :

La lutte pour l’auto-détermination de l’Irlande ne peut être séparée de « l’auto-détermination des femmes

« Le concept d’auto-détermination est à mon avis ce qui définit le mieux le féminisme républicain. Ce concept est sans doute mieux connu sous son aspect nationaliste que féministe, mais il a clairement un sens féministe aussi. L’auto-détermination, c’est le droit et la capacité de faire des choix véritables sur ce qui touche à nos vies : notre fécondité, notre sexualité, le soin et l’éducation des enfants, les moyens d’être indépendante, et tous les domaines dans lesquels on nous prive d’autonomie et de dignité, dans les différentes facettes de notre identité de femmes. »

Ce lien nous semble universel et non spécifiquement Irlandais , et donc valable dans la perspective de la  lutte pour une république bretonne  indépendante , réunifiée, brittophone, socialiste,  antipatriarcale, combat dont nous sommes partie prenante.

La rédaction de Bretagne-info.

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Voici un texte intéressant, écrit par Jan Cannavan probablement au début des années 1990, intitulé Women’s struggle liberates Ireland/Ireland’s struggle liberates women : feminism and irish republicanism. La faiblesse de ce texte, très favorable aux Provisoires ( NDLR = Le Sinn Fein de Gerry Adams ) , est une idéalisation du mouvement républicain et une absence d’autocritique, néanmoins il est assez instructif.

Depuis la deuxième vague du féminisme au début du mouvement contre la Guerre du Vietnam, des femmes ont débattu dans le monde entier de la compatibilité entre libération nationale et libération des femmes. Les questions dominantes étaient celles-ci : lequel de ces deux mouvements est-il davantage susceptible de libérer les femmes? Et si les deux sont nécessaires, comment pourraient-ils coexister? Qu’en est-il des autres oppressions que subissent les femmes, à savoir l’oppression de classe et l’oppression de race?

Cet article examinera ces questions à la lumière du cas irlandais, placera la libération nationale et la libération des femmes dans leur contexte historique propre et décrira la condition sociale et économique des femmes d’Irlande aujourd’hui. Pour finir, il comparera les voies de la libération des femmes telles qu’elles sont définies par les féministes d’une part et les républicaines irlandaises d’autre part.

La colonisation de l’Irlande par la Grande-Bretagne commença avec l’invasion anglo-normande de 1169, qui fut accomplie vers 1652 sous Cromwell. Le gouvernement britannique expulsa les Irlandais indigènes de leurs terres et posa à leur place des colons-planteurs loyaux. Les Irlandais indigènes furent gouvernés par les Lois Pénales, un code d’apartheid qui les empêchait de posséder des terres ou des chevaux, de pratiquer leur religion, de participer au gouvernement ou d’éduquer leurs enfants.

Cette répression fit naître des sociétés secrètes et des révoltes agraires à chaque génération. Beaucoup de planteurs presbytériens sympathisaient avec les doléances des indigènes catholiques, étant donné qu’ils étaient presqu’aussi opprimés par la loi de l’administration coloniale qui restreignait le commerce et maintenait délibérément l’Irlande dans le sous-développement.

Suivant les exemples des révolutions américaines et françaises, les éléments insatisfaits du pays se réunirent dans les Irlandais Unis – United Irishmen, un mouvement pour une République irlandaise indépendante. Après beaucoup de soulèvements manqués, ce but fut partiellement réalisé en 1921 avec l’octroi d’une indépendance limitée pour 26 comtés des 32 comtés d’Irlande.

Toutefois, les républicains irlandais, et avec eux la majorité des nationalistes, n’acceptèrent jamais la partition de l’Irlande et combattent encore pour une Irlande unie et socialiste.

Les femmes irlandaises ont vu le destin de leur libération en tant que genre entrelacé avec celui de leur nation. Dans l’Irlande celtique avant la conquête, les femmes jouissaient de beaucoup de droits légaux, d’un niveau tel qu’il n’est pas atteint dans la plupart des pays aujourd’hui. Les femmes gardaient leur propriété même dans le mariage, et aucun des partenaires ne pouvait passer contrat ou faire des affaires sans le consentement de l’autre.

Aussi bien l’époux que l’épouse pouvait divorcer pour un grand éventail de raisons, une femme par exemple pouvait divorcer de son mari pour quatorze raisons, dont la diffamation à son encontre ou le manque d’harmonie sexuelle. Les femmes étaient protégées hors du mariage, en ce qui regarde le droit commun et les relations de passage et ainsi, aucun enfant n’était considéré comme illégitime.

La conquête britannique mit fin au système légal indépendant et supprima la plupart des droits traditionnels des femmes irlandaises. Il apporta également un nouveau sens de la pudibonderie, qui ne faisait pas partie de la culture irlandaise. On voit encore dans les ruines de certaines églises datant d’avant la conquête des bas-reliefs montrant des sile-na-gigs, des formes féminines nues aux organes génitaux très exposés, avec de fréquentes scènes de masturbation.

Une tradition celtique à laquelle la conquête n’a pas mis fin fut l’existence et l’acceptation de femmes fortes et guerrières. Dans la saga principale de l’Irlande, Tain bo Cuailgne [traduction française : ‘La razzia de Cualngé’, pp. 91-116, in L’épopée irlandaise, trad. Georges Dottin, col. L’arbre double, ed. les presses d’aujourd’hui, 1980], la reine guerrière Mêve mène son armée à la victoire, noyant l’armée adverse sous un flot d’urine et de sang menstruel.

A l’époque de la reine Elisabeth d’Angleterre, Grainne Mhaol menait son clan dans des attaques pirates contre les vaisseaux britanniques, pour finir par négocier en tant qu’égale avec la reine. Dans toutes les rébellions irlandaises, les femmes combattirent aux côtés des hommes et prirent part à toutes les activités. Mais la plus grande partie de cette histoire des femmes a été obscurcie et n’est redécouverte que depuis peu. Par exemple, les récits d’époque de la rébellion de 1798 enregistrent beaucoup d’actions menées par des femmes, mais les historiens qui sont venus par la suite ont négligé tous ces épisodes.

Des revendications féministes ont accompagné les luttes nationalistes, depuis au moins 1798. Mary Ann McCracken, une des Irlandaises Unies – United Irishwomen, était une admiratrice de Mary Wollstonecraft. Avant de rejoindre la société des Irlandaises Unies, elle écrivit à une amie emprisonnée qu’elle souhaitait « savoir si elles avaient une idée rationnelle de la liberté et de l’égalité pour elles-mêmes, ou bien si elles se contentaient de leur condition abjecte et dépendante, avilie par la coutume et l’éducation en-dessous du rang social où elles étaient placées à l’origine. »

Au moment du Soulèvement de Pâques 1916, trois mouvements avaient uni leurs forces pour profiter de l’occasion offerte par les préoccupations britanniques en pleine Guerre Mondiale : le mouvement nationaliste, le mouvement ouvrier et le mouvement des femmes. Cette alliance signifiait qu’un programme progressiste pour les travailleurs et les femmes accompagnait les exigences de libération nationale. James Connolly, qui était un théoricien socialiste et un des dirigeants exécutés de la rébellion, soutenait le mouvement pour le suffrage féminin. En 1915, il écrivit : « L’ouvrier est l’esclave de la société capitaliste, l’ouvrière est l’esclave de cet esclave ».

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Et lorsqu’en 1918 les républicains remportèrent la victoire électorale dans toute l’Irlande et mirent sur pied leur propre parlement, Constance Markievicz, une des dirigeantes de 1916, fut nommée Ministre du Travail. Elle et Alexandra Kollontaï en Union Soviétique furent les première femmes occupant le poste de ministre.

La partition de l’Irlande et la guerre civile qui s’ensuivit déboucha sur la victoire des forces pro-britanniques et conservatrices. Dans les années 1930, beaucoup de leaders radicaux combattirent et tombèrent pour la République espagnole. Ceci ouvrit la voie à la constitution irlandaise de 1937, dont l’article 41 stipule que « par sa vie menée dans son foyer, la femmes donne à l’Etat un soutien sans lequel le bien commun ne peut pas être atteint. »

A la fin des années 1960, la Northern Ireland Civil Rights Association – Association pour les Droits Civils d’Irlande du Nord, inspirée par le mouvement pour les droits civils des Afro-américains, engagea une lutte non-violente pour que les catholiques nationalistes des six comtés obtiennent des droits égaux. Il y avait une grande proportion de femmes dans ce mouvement, mais la direction était entièrement masculine, à l’exception de Bernadette Devlin.

Lorsque les manifestations pacifiques rencontrèrent la répression violente et les coups de feu (processus culminant avec le Bloody Sunday, qui vit les parachutistes tuer quatorze manifestants désarmés), la lutte armée recommença.

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De même, au début des années 1970, un mouvement des femmes émergeait à Dublin, inspiré par ce qui existait aux Etats-Unis et dans d’autres pays européens. Les féministes irlandaises faisaient de l’agitation pour que soit réformé le système social, en faveur des mères seules, en faveur d’un traitement égal en matière d’emploi, de salaire et d’éducation, ainsi qu’en faveur du droit au divorce et à la contraception. L’une de leurs premières actions fut de prendre le ‘train de la contraception’ vers Belfast, en mai 1971.

Depuis que la contraception fut légalisée en Irlande du Nord, 47 femmes y allèrent et ramenèrent de grandes quantités de contraceptifs, qu’elles déclarèrent ouvertement aux douanes irlandaises à leur retour. Cette action attira dans une grande mesure l’attention des médias et déclencha une grande campagne, qui déboucha sur la légalisation partielle de la contraception.

En 1975, le Mouvement pour les Droits des Femmes d’Irlande du Nord – Northern Ireland Women’s Rights Movement (NIWRM) fut fondé à Belfast, exigeant la parité avec la Grande Bretagne en ce qui concerne les droits des femmes. Ce mouvement était légaliste, avec comme bases les classe moyennes, et ne prenait pas position sur les questions qui concernaient les femmes du peuple et les femmes nationalistes. L’année suivante, lorsque le NIWRM critiqua le Troops Out Movement – Mouvement pour l’expulsion des troupes britanniques, un Groupe de Femmes Socialistes – Socialist Women’s Group, fit sécession.

Puis, en 1977, ce dernier groupe scissionna, donnant naissance au Belfast Women’s Collective – Collectif des Femmes de Belfast, qui fut formé pour travailler de façon plus rapprochée avec le mouvement républicain, en particulier au sujet des femmes emprisonnées. Une nouvelle scission survint, qui produisit en 1978 le groupe Women Against Imperialism – Femmes Contre l’Impérialisme, qui était lié de façon encore plus étroite avec les républicains. La centralité de la lutte nationale et la polarisation des positions à ce sujet empêcha le développement d’un mouvement féministe unifié au Nord de l’Irlande.

Pour comprendre la condition féminine en Irlande, il faut connaître un peu la société irlandaise et ses conditions économiques. Les six comtés occupés de l’Irlande du Nord forment une colonie britannique, dirigée directement depuis Londres. Les 26 comtés du Sud sont une néo-colonie, formellement indépendante mais ayant une économie complètement dominée par les investisseurs multinationaux. En termes économiques, l’Irlande est un pays du tiers-monde. Officiellement, le taux de chômage dans les deux parties de l’Irlande dépasse les 17%. Mais dans certains quartiers populaires, il est de plus de 80%. Politiquement, les deux parties de l’Irlande sont des Etats confessionnels conservateurs.

Le Sud est dominé par l’Eglise catholique, et le Nord par un protestantisme fondamentaliste. Les deux Etats sont extrêmement conservateurs en matière sociale, et les deux emploient des mesures répressives et la censure pour maintenir l’ordre établi. Ces conditions économiques et sociales ont un lourd impact sur les femmes. Bien que davantage de femmes soient entrées sur le marché du travail ces dernières années, ces emplois se concentrent dans les industries de service. Les femmes dans les 26 comtés gagent seulement 60% du salaire masculin, dans les 6 comtés, 75,5%. Plus de 1,25 million de femmes irlandaises (c’est-à-dire la moitié de la population féminine) est considérée comme vivant dans la pauvreté.

Les conditions d’existence des femmes, dans ces sociétés caractérisées par des liens puissants unissant les églises et les Etats, n’ont pas connu d’amélioration significative depuis le début des années 1970.

Les contraceptifs peuvent désormais être prescrits dans les 26 comtés, mais beaucoup de médecins et de pharmaciens, surtout dans les zones rurales, refusent de les donner. Les préservatifs ne peuvent être vendus qu’en pharmacie, un magasin de Dublin qui tenta d’outrepasser cette règle fut conduit devant les tribunaux et condamné, en 1990. L’avortement, qui a toujours été illégal en Irlande, fut rendu anti-constitutionnel lors d’un référendum en 1983. Même l’accompagnement non-directif de la grossesse, avec l’option de se faire avorter en Grande Bretagne, est illégal.

Dans le Nord, l’avortement est illégal également, même si l’Irlande du Nord est censée être partie intégrante de la Grande Bretagne. Le divorce est encore illégal dans les 26 comtés, même si une campagne pour un nouveau référendum à ce sujet se développe. En Irlande du Nord, les femmes doivent faire face aux soldats armés dans leurs rues, aux raids constants dans les maisons, aux fouilles corporelles et au fait de devoir s’occuper seules de leurs familles quand les époux sont en prison ou en cavale

Les féministes et les républicaines féministes proposent des solutions différentes au problème de l’oppression des femmes. Le mouvement féministe, qui appartient largement aux classes moyennes, voit une issue dans le travail en direction de l’égalité et de la neutralité en matière de genres, à l’intérieur du système légal existant. La Commission pour un Statut des Femmes, un organisme délibératif soutenu par le gouvernement, suggéra beaucoup de pistes de changement en matière d’emploi et de lois sociales, qui résorberaient certaines des inégalités les plus criantes.

Beaucoup de féministes considèrent qu’il faut des actes qui aillent au-delà de la simple égalité formelle, comme des crèches et des possibilités de contrôler leur propre fertilité, en tant que conditions pré-requises pour l’égalité. Des campagnes axées sur ces points particuliers ont été et sont menées par les groupes féministes. Les groupes culturels de femmes, comme des ateliers d’écriture, de thérapie de groupe, de sport, etc. sont considérés par nombre d’entre elles comme « un environnement alternatif au sein duquel les femmes peuvent explorer des idées et se soutenir les unes les autres, loin des contraintes imposées par les structures patriarcales. »

Les féministes républicaines considèrent que cette approche est trop fragmentaire et qu’elle s’attaque aux symptômes et non aux causes des problèmes des femmes, qu’elles identifient comme étant le capitalisme et l’impérialisme britannique, en même temps que le patriarcat. Comme le dit Mary Nelis, une activiste Sinn Fein [provisoire] de Derry : « Le système patriarcal, avec ses sous-produits l’impérialisme et le capitalisme, peut se permettre des réformes et peut même permettre à des femmes d’être des figures de proue du pouvoir (par exemple Maggie Thatcher), pourvu que les règles fondamentales établissant l’inégalité essentielle restent intactes. »

La fragmentation en une multitude groupes se préoccupant chacun d’un aspect particulier et intriguant les uns contre les autres pour obtenir des fonds et de la considération, est vue par les féministes républicaines comme une chute « dans le vieux piège de diviser pour régner ». Elles considèrent également que l’appareil d’Etat a dans une certaine mesure absorbé le mouvement des femmes. Les féministes les plus acceptables sont désormais partie prenante de l’establishment et passent à loisir à la radio, ce qui nous est interdit, à nous autre républicaines, par la loi section 31 (loi censurant l’expression du républicanisme dans les 26 comtés).

Dans ces conditions, où est le véritable danger?

Nell McCafferty, journaliste féministe dont les travaux sont connus dans le monde entier, s’était mise hors la loi pendant des années au nom du droit des femmes à la contraception, et avait raconté ses « activités criminelles ». Comme elle le disait : « Cela n’a pas du tout nui à ma carrière. » Sauf qu’un jour, dans une interview, elle déclara soutenir l’IRA. Et là, elle fut séance tenante bannie de la radio irlandaise.

Voyons maintenant les objections adressées à la lutte républicaine par les féministes. Elles tombent en général sous ces trois catégories. 1. c’est une guerre d’hommes; 2. les femmes devraient se concentrer sur leur propre libération en tant que femmes; 3. ce conflit est différent des luttes légitimes dans le tiers-monde.

Cathy Harkin, du Derry Women’s Aid, un refuge pour femmes battues, met en avant la première objection. Elle identifie la ville de Derry comme un « patriarcat armé » et dit que les femmes dans le mouvement républicain ont rarement eu accès à des positions d’autorité sauf lorsqu’elles adoptent les idéaux, les buts et la discipline masculine du mouvement. »

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Cet argument, qui a fait débat pendant des années dans les cercles féministes, présuppose que les femmes sont « naturellement » pacifistes et que toute femme qui prend partie dans une lutte qui inclut une composante militaire ne peut aller que contre sa véritable nature et ne fait que suivre les hommes.

Suivre un tel argument, c’est suivre une pente dangereuse pour les femmes, parce que la théorie des « différences » biologiques et psychologiques a été utilisée contre les femmes pendant toute l’histoire du patriarcat. En outre, comme une volontaire de l’IRA l’a affirmé : « Ce n’est pas une guerre des hommes, c’est une guerre du peuple. »

Margaret Ward, historienne féministe, soulève la deuxième objection. Elle demande : « Le féminisme peut-il offrir un tel soutien sans qualification (à la libération nationale) tout en restreignant ainsi sa capacité à saisir la réalité de l’oppression de toutes les femmes et à combattre sans compromis pour les intérêts des femmes? »

Cette critique soulève deux questions : 1. quels sont les problèmes des femmes? Et 2. est-ce que le mouvement républicain irlandais combat pour les résoudre?

A la première question, les prisonnières de guerre irlandaises ont répondu ceci : « les femmes qui vivent dans les six comtés occupés d’Irlande sont opprimées à la fois par un Etat impérialiste étranger et pat les idéologies sexistes qui répriment les femmes dans le monde entier ».

Quant à Bernadette Devlin McAliskey, elle a ajouté que « nous ne sommes pas opprimées seulement parce que nous sommes des femmes, mais aussi parce que nous sommes des femmes de la classe ouvrière, et enfin parce que nous sommes des femmes républicaines de la classe ouvrière ». Comme le remarque une activiste de Sinn Fein [provisoire] : « Ce n’est pas parce qu’un problème affecte les hommes qu’il n’affecte pas aussi les femmes ».

Mais qu’en est-il des problèmes qui concernent spécifiquement les intérêts des femmes? Est-ce que le mouvement républicain les prend aussi en compte dans son combat? Sinn Fein [provisoire] a produit un document approfondi qui explique ses positions en ce qui concerne les questions féminines. Il prend parti, entre autres, pour le divorce légal, pour une contraception libre et accessible, pour un conseil en matière de grossesse incluant tous les choix, pour la prise en charge de l’enfant par les deux parents, pour des crèches ouvertes 24h/24, et pour mettre fin aux rôles stéréotypés dans l’éducation et la publicité. En outre, de membres de Sinn Fein [provisoire] sont actifs dans les centres pour femmes et dans les campagnes pour le divorce, pour le planning familial, contre le viol et la violence conjugale.

La troisième objection adressée au républicanisme, qui consiste à dire qu’il ne s’agit pas d’un véritable mouvement du tiers-monde, a déjà été traitée dans cet article, au sujet du statut économique du pays, qui est celui d’un pays du tiers-monde. Beaucoup de gens se plaisent davantage à soutenir des mouvement de libération loin de chez eux, menés par des gens qui ne leur ressemblent pas physiquement ou parlent une autre langue, plutôt qu’un mouvement plus proche de leurs foyers.

La distance et le soupçon mutuel entre les mouvements féministes et républicains nuisent aux deux mouvements et à la libération des femmes en général. Comme l’explique la coordinatrice du Centre des Femmes de Falls Road [à Belfast-ouest] : « La droite n’a pas de problèmes lorsqu’il s’agit de s’unir pour défendre ses intérêts, en utilisant les distortions créées par l’impérialisme britannique pour nous diviser et dévier nos forces ». L’incapacité du mouvement des femmes à s’opposer réellement au courant conservateur actuel est attribué par Marron à « ce fractionnisme et cette peur ».

Aussi bien le mouvement féministe que le mouvement républicain ont beaucoup à offrir l’un à l’autre et au peuple irlandais.

D’après Nell McCafferty : « Jusqu’à aujourd’hui, il s’est avéré qu’il était plus facile de féminiser les républicains, qui ont beaucoup à gagner de l’inclusion des femmes dans la lutte, que de républicaniser les féministes, qui ont beaucoup à perdre si les intérêts des femmes sont totalement subordonnés à la résolution de la guerre.

Toutefois, l’expérience a montré que les luttes et révoltes sociales dans le monde n’ont été forcées de prendre des mesures pour résoudre les problèmes sexistes que lorsque le mouvement des femmes s’y est impliqué. (…) Le mouvement des femmes en Irlande fait face au défi de développer une théorie et une pratique au sujet du féminisme et de la guerre. L’implication active des femmes est impérative si les femmes doivent avoir, une fois la guerre résolue, la même liberté que les hommes libres. »

Gael Roblin inaugure notre rubrique “tribune”, il est membre de la direction de la Gauche Indépendantiste.

La rubrique tribune est ouverte à tous et toutes.

Merci Christian !

Le 10 octobre dernier le rapporteur général du budget de la Région Bretagne, c’est à dire Christian Guyonvarc’h membre de l’Union Démocratique Bretonne (UDB) se faisait remarquer en déclarant sur sa page facebook « Si l’indépendance est la seule voie qui nous est laissée pour éviter le pire, il faudra la prendre »… Un ex vice président de la région Bretagne gouvernant cette institution sans réel pouvoir avec le PS qui se prononce pour l’indépendance de la Bretagne, voilà qui a tout de suite suscité de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. On peut le comprendre !

Certains reprochant à Christian Guyonvarc’h le manque d’indépendance de son organisation vis à vis du PS dans les institutions locales, d’autres appelant à l’union, d’autres enfin rappelant que Christian Guyonvarc’h n’exprimait qu’une opinion personnelle n’engageant que lui…

Poser l’indépendance de la Bretagne comme option politique éventuelle étant une alternative « pour améliorer les conditions de vie et la cohésion sociale » et au fascisme, voilà des propos qui ne peuvent que réjouir la Gauche Indépendantiste.  C’est affirmer que la  revendication indépendantiste bretonne se doit d’être au service du mouvement social car de la même manière il est évident que revendications écologistes et revendications sociales se sont interpénétrées en Ecosse dans les Pays Catalans pour élargir et renforcer la palette de l’opposition à l’ordre capitaliste. La revendication du droit à l’autodétermination (qui inclut l’indépendance comme option politique) comme légitimité démocratique pour s’opposer aux réformes néo-libérales et à l’ordre économique, doit pénétrer le mouvement social et l’ensemble de la société en Bretagne. Et oui, cela donne clairement plus de force à nos revendications et dame le pion à l’extrême droite sur le plan identitaire.

Mieux disant social !

On peut supposer que la vigueur du débat autour de l’indépendance en Catalogne (et dans les pays Catalans) et en Ecosse a poussé Christian Guyonvarc’h a faire cette déclaration étonnante… et réjouissante !

Car si dans ces deux nations sans état (plus pour très longtemps !) sont aux portes de l’indépendance c’est bien parce que des forces politiques ont portés sans complexe aucun pendant des années, des décennies, la perspective de l’indépendance comme option politique… et ceci en étant parfois très minoritaires.

Si Arthur Mas, président nationaliste Catalan de centre-droit, a promis de tenir en 2014 un référendum d’auto-organisation (avant de se raviser) c’est parce que ces forces ont imposés après des décennies de travail cette option indépendantiste comme une possibilité de plus en plus réaliste aux yeux du peuple Catalan comme un alternative crédible à la crise économique et au discrédit des institutions locales, étatiques, européennes…

Et si demain il tient parole, cela sera uniquement grâce à la mise en place au sein du peuple  (pas dans les institutions vieillissantes) d’un vaste mouvement de rupture démocratique qui l’y obligera, avec ou sans l’accord de Madrid et parce qu’aura progressé l’idée de la souveraineté populaire Catalane liée à la défense et la promotion d’une identité inclusive et ouverte basé sur un mieux disant social.

Qui  à part la Gauche Indépendantiste bretonne peut assumer d’avoir ici en Bretagne porté pendant des décennies et sans aucun complexe et ce  à travers diverses organisations légales ou non, l’indépendance de la Bretagne basée sur une perspective de mieux disant social ?

Ce n’est pas pour devenir les gardiens du temple d’une cause sacrée que nous le rappelons mais pour que tout le monde s’approprie cette option, et en débatte… Christian Guyonvarc’h y a contribué avec sa « petite phrase ». Merci à lui.

Independencia per canviar ho tot !  L’indépendance pour tout changer !

C’est le slogan de la gauche indépendantiste radicale des pays catalans, mais c’est aussi le notre ! Nous ne voulons pas changer de drapeau mais construire une démocratie locale garantissant au peuple breton le maximum de souveraineté pour construire une alternative à la crise économique, au chômage, à la destruction des services publics à la loi cruelle du marché et à la montée du fascisme, à l’oppression de classes et de genres.

Il n’y a pas que Christian Guyonvarc’h que l’idée d’indépendance ne laisse pas vraiment de glace… Ne serait ce qu’au conseil régional… je sais que cette option politique a été un temps celles d’autres conseillèrEs régionales que j’ai cotoyées dans un autre siècle au sein et autour de la Gauche Indépendantiste…

Mais à quoi ça sert le Conseil Régional ? Surement pas à faire avancer des débats sur plus de démocratie locale, Christian Guyonvarc’h l’a aussi rappelé sur son compte facebook : «  le Conseil régional de Bretagne attend toujours une réponse du gouvernement à sa “contribution au débat national sur la décentralisation” votée le 21 mars dernier, il y a bientôt 7 mois… »

L’avenir, l’indépendance se construit aussi ailleurs, dans la rue, tous les jours et dans les mobilisations sociales, comme option et perspective d’émancipation collective !

Disons le franchement et sans complexe :  Breizh dizalc’h evit cheñch pep tra !

Gael Roblin

Capture d’écran de la déclaration
sur facebook de Christian Guyonvarc’h,
cliquez sur l’image pour la lire :